Zone de turbulences

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   Je dois bientôt prendre l’avion (moi qui ne jure que par le train !), et mes pensées s’affolent, tournent à toute vitesse, nuits et jours : nous n’en sortirons pas vivants ^^ . Je lutte contre mon aérophobie en inventant des histoires qui se terminent bien (enfin presque)

 
***

   L’avion hoquète et tangue comme s’il était ivre, avant de chuter brusquement. Des cris retentissent, des pleurs et des grincements de dents, agrémentés de sonneries d’alarme.
    Claire se fige au contraire, bloquée, terrifiée. Aucun son ne sort de sa bouche ; d’ailleurs, elle a arrêté de respirer. L’avion plonge à nouveau, lui soulevant le cœur. Son cœur entame une série de chutes libres à l’unisson avec celles de l’avion. Entre deux chutes, l’avion oscille, agité de soubresauts erratiques. Un silence de mort règne dans l’habitacle à présent, les voyageurs retiennent leur souffle ou marmonnent des prières. Claire s’empare de la main de son voisin inconnu et la broie dans la sienne. Jusque-là, ils s’ignoraient soigneusement, plongés chacun dans leurs livres. Il accepte sa poigne de fer et endure le supplice, lui offrant même tout son bras à broyer. Claire se maudit une fois de plus d’avoir tant tardé à prendre son billet ; ses amis sont loin derrière, plus d’une dizaine de rangées les séparent, elle n’a que cet inconnu à se mettre sous la dent. Les lumières s’éteignent, seules les veilleuses orangées éclairent les visages blêmes. Le pilote prend la parole d’une voix grave :
    — Nous traversons actuellement une zone de turbulences, veuillez rester assis et attacher vos ceintures.
    Claire sent l’anxiété la dévorer vive, elle est sur le point de céder à une crise de panique. Ses pensées s’emballent, des pensées morbides. Ça y est, cette fois c’est la fin ! Il faut bien mourir un jour… Tant de livres à lire, à écrire, de fêtes, d’amis à revoir, d’amour à donner… Nooon, elle ne veut pas !
   Dans un dernier sursaut de lucidité, elle envoie des sms enflammés à ses ex, ses amants, ses amis… portée par la musique de son casque vissé sur ses oreilles pour tenter d’ignorer les annonces anxiogènes du pilote et le tintement lancinant des alarmes. Des déclarations d’amour, d’amitié, des messages vibrants de désir… Les filles, les garçons, tout le monde y passe !
   Son voisin tente de l’apaiser, il la serre dans ses bras, lui fait des petits massages de la nuque, et bientôt, l’embrasse à pleine bouche. Une dernière pulsion de vie avant la mort imminente.
   Personne ne nous en voudra si on le fait une dernière fois, vu les circonstances, se dit claire complètement affolée. Elle grimpe sur les genoux de son voisin, s’affaire à ouvrir son jeans et libérer son sexe. Il bande dur ; l’ultime érection du condamné. Elle écarte sa culotte et s’empale sur lui, le chevauchant comme une damnée. Panique et excitation se confondent. Les chutes liées aux trous d’air s’enchaînent toujours et ajoutent à ses sensations pendant qu’il la prend fort, fouetté par les sonneries d’alarme incessantes qui les rendent dingues. Il agrippe ses hanches, elle mord son cou au sang, avant la jouissance libératrice et désespérée.
   Un peu soulagée et apaisée, Claire regagne sa place. Elle pose sa tête sur l’épaule de l’inconnu et ferme les yeux un instant…
   — … notre avion va entamer sa descente, bienvenue à New York, la température actuelle est de…
   Quoi ! Qu’est-ce qu’il vient de dire ? Claire arrache son casque, abasourdie. Elle se trouve déjà au paradis peut être ? Ou dans un cauchemar ? Elle est brusquement rappelée à la réalité par le bruit des roues qui s’extirpent du ventre de l’appareil.
   Le contact avec le plancher des vaches s’effectue sans accroc, tout le monde applaudit et rit de joie. Claire se fige, l’enfer vient de s’ouvrir sous ses pieds. Elle consulte son portable et respire ; il n’a pas encore trouvé le réseau américain. Vite, le remettre en mode avion avant que ses textos torrides ne s’envolent vers leurs destinataires. Elle n’ose imaginer les conséquences !

   Elle rejoint ses amis à la sortie de l’avion comme une somnambule, sonnée. Olivier lui donne une bourrade amicale.
   — ça va toi, pas trop secouée ? Tu as bien reçu mon message ? On capte du réseau depuis l’atterrissage….
   — Je suis morte si je rallume mon téléphone, j’aurais des ennuis à l’infini… Je vais plutôt faire comme si on me l’avait volé… Et changer de numéro…
   — Qu’est-ce qu’il se passe ?
   — J’ai fait mes adieux pendant les turbulences à deux ou trois personnes… Bon, OK, huit ou neuf je crois, quand on aime on ne compte pas, bref, je te passe les détails… hors de question que ces sms quittent mon téléphone. Et il y a pire encore, on a fait l’amour avec mon voisin… sans préservatif !
   Olivier lève les yeux au ciel.
   — Mais c’est n’importe quoi !
   — On allait mourir !! Alors choper une MST, c’était vraiment le cadet de nos soucis, là !
   — Comment ça mourir… c’était juste quelques nuages et un orage ! Une MST, ou autre chose dans neuf mois… Ça te fera un souvenir du voyage comme ça. Pas besoin d’acheter la boule à neige avec la statue de la liberté ! Vous avez échangé vos coordonnées au moins ?
  — Non… Je ne saurais même pas le reconnaître ! Mais je l’ai marqué à vie je crois, j’ai encore le goût de son sang dans ma bouche… La chute libre de trop : je l’embrassais, et mes dents se sont crispées toutes seules sur sa peau quand l’avion a décroché…
   — C’est pas lui là-bas, avec le cou tout rouge ? Je vais lui dire deux mots ! Il a abusé de toi alors que tu faisais une crise d’angoisse !
   Claire a d’autres chats à fouetter. Toutes ses pensées sont tournées vers ses amis parisiens. Rallumer son téléphone la démange… Elle pourrait leur écrire, leur dire que son portable s’est fait pirater ? Ou juste leur faire des excuses piteuses et tout mettre sur le compte du champagne à volonté ? Ou mieux : expliquer que c’est une blague d’Olivier, il lui a chipé son téléphone pendant qu’elle dormait… Elle soupire. Le mieux c’est encore de dire la vérité toute crue : elle allait mourir, elle a voulu soulager son cœur, mais contre attente elle a survécu. Elle est polyamoureuse, voilà, c’est dit, mais elle manque de temps, aussi restons-en là.
   L’attente promet d’être longue en attendant leurs valises. Claire soupire et rallume son téléphone, la boule au ventre. Vite, elle envoie son erratum contrit, l’achevant par un voeu pieux : « En conséquence, merci de ne pas tenir compte de mon message ». Elle dispose de quelques heures tranquille avant de devoir gérer d’éventuels retours de flammes ; avec le décalage horaire, tout le monde dort en France. Elle sursaute en sentant son téléphone vibrer. Olivier ! Elle l’avait oublié, il a eu droit à une déclaration lui aussi ! Flûte.
   Elle hausse un sourcil en découvrant sa réponse : « # Metoo « , et fonce sur lui, piquée au vif.
   — Hé, tu veux dire quoi par-là : que tu m’aimes bien toi aussi, ou que tu te sens harcelé ?
   — L’avenir te le dira, fait-il avec des airs mystérieux, plutôt fier de son petit effet.

   Et ce n’est que le début des ennuis.

   – Photo : Ffuderi – Pixabay (retirée sur simple demande)
 

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