Juste une fois

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   Un conte de Noël inspiré par un prêtre de la messe de Noël de ce matin qui ressemblait à cette photo (je vais devoir confesser mes pensées impures et expier mon fou rire nerveux déplacé)
   J’en profite pour vous souhaiter à tous et à toutes un joyeux Noël !

***

   Clothilde soupire en voyant ses parents enfiler leurs manteaux pour aller à la messe de minuit, comme chaque année.
   — Tu peux bien faire un effort quand même, siffle sa mère entre ses dents, pour nous faire plaisir, et c’est la tradition de Noël !
   Clothilde maudit en pensée l’esprit de Noël. On n’était pas bien, là, au chaud, à cuver le champagne en chipotant la buche à moitié fondue devant le bêtisier de la télé ? Pourquoi sortir dans le froid, le vent, et assister à un rituel ancien dans une église glacée, en compagnie de quelques têtes blanchies par les ans ?
   Clothilde se secoue et se lève à son tour. C’est Noël, elle va faire l’effort de venir, et boire cette coupe jusqu’à la lie. La légère ivresse liée au champagne lui donne le courage de mettre sa doudoune et son bonnet décoré d’une tête de mort, un petit signe gothique discret. Sa mère lève les yeux au ciel, mais Clothilde l’ignore ; c’est son seul bonnet et il fait un froid terrible – mais il ne neige pas, quelque arnaque ! Maussade, elle quitte la chaleur de leur foyer tout illuminé de guirlandes et de bougies (fausses, sa mère redoute les incendies), pour se retrouver dans le silence et le froid de la nuit.

   Clothilde ne parvient pas à rester longtemps de mauvaise humeur, son cynisme fond comme neige au soleil en pénétrant dans l’église. Des enfants ont visiblement assuré la décoration : crèche kitch à souhait, guirlandes scintillantes à la lumière des cierges, dessins de la Sainte Famille accrochés un peu partout… L’église est comble pour une fois, tout le quartier a fait le déplacement et entonne à pleins poumons « Il est né le divin enfant », tandis que les prêtres progressent dans l’allée centrale, suivis d’une nuée d’enfants de chœurs surexcités.
   Clothilde les regarde distraitement, avant de marquer un temps. Un jeune prêtre qu’elle n’a jamais vu défile en chantant de tout son cœur. Il est très brun, des cheveux longs ondulent sur ses épaules, il est barbu et moustachu… le sosie vivant de Jésus ! En bien plus souriant… Clothilde baisse la tête, secouée par un fou rire impossible à réprimer. Sa mère lui jette un regard courroucé, Clothilde réussit à reprendre sa respiration et lui glisse à l’oreille.
   — On dirait Jésus !
   Sa mère se fige, avant de glousser discrètement à son tour, ravivant le fou rire de sa fille. Les voilà secouées de rires toutes les deux, tentant par tous les moyens de penser aux impôts et aux corvées en retard pour arrêter ce fou rire mal venu en ces lieux.
   La mère de Clothilde se ressaisit la première et chuchote à sa fille.
   — Tu exagères !
   — C’est qui ce nouveau prêtre ?
   — Si tu venais plus souvent à la messe avec nous, tu le saurais… c’est un séminariste d’un pays d’Amérique du Sud, il n’a pas fini sa formation de prêtre d’après ce que j’ai compris… c’est une sorte d’échange Erasmus, tu vois ?
   Elle se tait, son mari vient de lui donner un petit coup de coude. Elle pose un doigt sur ses lèvres pour signifier à Clothilde que ce n’est pas le moment de bavarder.

   La messe de Noël passe à la vitesse de l’éclair pour une fois, entre l’observation du ballet des enfants de chœur et la gestuelle du jeune prêtre qui officie avec concentration et conviction. Il ne doit pas se louper, cette messe représente tellement pour les croyants !
   Les prêtres se dispersent devant l’autel, munis chacun d’une soucoupe emplie d’hosties. D’ordinaire, Clothilde se garde bien d’aller communier — elle vit dans le péché, en toute conscience, et n’a aucune envie de renoncer à sa vie de bohème, enchaînant les amants de passages, les amours de vacances, les sex friends en tout genre… une vie de plaisirs charnels et sensuels ! Mais cette fois, elle déroge à la règle, et se lève avec ses parents, fuyant le regard interrogateur de sa mère.
   Clothilde veille à se placer dans la bonne file, celle qui mène à ce Jésus incarné sur terre. Son tour arrive, elle ne résiste pas à la tentation de s’amuser un peu. Elle regarde le prêtre droit dans les yeux, tandis qu’il déclame « le corps du christ » avec son accent chantant. Elle ne tend pas ses mains comme les autres, mais ouvre grand la bouche, la langue bien pendue, comme autrefois. L’homme de Dieu reste imperturbable, se contentant de déposer l’hostie dans sa bouche comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, et Clothilde se résout à céder sa place, en mâchouillant ce petit bout de carton sans goût qu’il lui a glissé. Elle aimerait sucer autre chose ! Des fantasmes s’imposent dans ses pensées, l’excitent malgré elle, au milieu de l’assemblée abîmée dans ses prières. Elle arrache une page de son carnet et griffonne à la hâte un petit mot, avant de se lèver comme un diable sortant de sa boîte devant ses parents médusés. Elle court refaire la queue devant le prêtre.  Ouf, juste à temps, elle est la dernière de la file ! Cette fois, elle tend ses mains au prêtre. Au creux de ses mains, un papier plié avec la mention Pour vous, joyeux Noël ! 
   Le prêtre hésite un instant, avant de s’emparer du papier. Clothilde se réjouit, elle retourne à sa place le feu aux joues et le coeur battant la chamade, légèrement coupable de ses agissements. Maintenant, la balle est dans son camp, elle n’a plus qu’à guetter son téléphone.

   Dévoré de curiosité, Pablo ne résiste pas à l’envie de lire aussitôt le petit mot. Que lui veut cette jeune femme aux yeux charbonnés ! Il n’est pas né de la dernière pluie, elle n’ouvrait pas sa bouche par excès de dévotion, mais par provocation…
   Je serais ravie d’être votre cadeau de Noël et de m’offrir à vous
   Clothilde
   Suivi d’un numéro de téléphone
   Le jeune homme n’en croit pas ses yeux, il a bien du mal à se concentrer et finir la cérémonie sans trop bafouiller. Il ne peut s’empêcher de sourire aux anges. Ses pensées tournent à toute allure tandis qu’il bénit une dernière fois l’assemblée. Il meurt d’envie de contacter cette paroissienne dévoyée, une tentation du malin, sûrement, une façon d’éprouver sa foi… Il tente de lutter contre la tentation, mais c’est une bataille perdue. Déjà, il s’arrange avec lui-même et se trouve de bonnes raisons.
   Juste une fois, promis, ensuite, il se consacre à Dieu. Après tout, comment peut-il lui offrir sa chasteté s’il ne mesure pas le sacrifice qu’il s’apprête à faire ! Il veut tenir une fois dans sa vie le corps chaud, lascif d’une femme, promener ses mains sur sa peau douce… Juste une fois. De toute façon, il ne pourra y avoir de seconde fois, il repart bientôt. Son séjour en France se termine, il n’aura pas à affronter le regard de ses pairs le rouge au front. Il se promet de bien se confesser à son retour chez lui, en insistant sur la malice et la séduction des Françaises. Il expiera sa faute à force d’autoflagellations sévères, de jeûnes et de privations, autant qu’il le faudra, jusqu’à retrouver la paix et la rédemption dans les souffrances de son corps meurtri.
   Sa décision est prise, il va la revoir, l’aimer peut-être. Des soucis logistiques contrarient ses fantasmes ; il ne peut la recevoir dans sa chambre, il vit en communauté avec les autres prêtres de la paroisse. Une idée jaillit soudain dans ses pensées : la crypte ! Cela devrait plaire à Clothilde, il a remarqué son allure gothique et ce bonnet orné d’une tête de mort. Une cave froide et humide, mais ils y seront tranquilles, et il se fait fort de la réchauffer de son corps brûlant. Il s’empresse de lui énvoyer un texto.
   Je vous propose de nous voir demain, à 16h devant l’Église si vous le voulez bien ! Pablo

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   Pendant que ses collègues âgés se reposent de la messe de minuit de la veille et de la messe de Noël du matin, Pablo s’active et prépare leurs noces : installation d’un petit chauffage électrique, d’un lit de fortune avec des couvertures et des coussins, d’innombrables bougies…
   Clothilde se présente à l’heure dite dans une tenue à damner tous les saints, une robe moulante, outrageusement décollée et fendue. Pablo s’empresse de la guider vers la crypte dont il referme soigneusement la porte. Clothilde descend une volée de marches à sa suite, et pousse un cri d’admiration ; elle se retrouve dans une chapelle illuminée de mille bougies, et devant l’autel, un lit enfoui sous des coussins. Elle sourit, heureuse de réaliser un fantasme, pervertir un prêtre, le détourner du droit chemin et de ses vœux. Cerise sur le gâteau, dans une église en plus ! Le prêtre n’est plus revêtu de son aube hélas, mais d’un jeans et d’une chemise à carreaux, sur laquelle repose une grande croix de bois. Par respect, Clothilde commence par lui retirer cette croix et la cache derrière une statue, histoire qu’elle ne soit pas témoin de leurs ébats. Elle envoie valser sa robe sur un tombeau, et apparaît nue comme Eve au jardin d’Eden.
   Pablo est tétanisé, il se laisse faire pendant qu’elle déboutonne sa chemise, défait sa ceinture… et puis la nature reprend ses droits, son sang chaud bout dans ses veines, son cœur palpite, ses mains s’élancent toutes seules vers la taille de Clothilde, sa poitrine… Ses beaux seins pâles se retrouvent prisonniers de ses mains brunes. Ils se laissent tomber sur les coussins, emmêlent leurs jambes. Pablo ne pense plus, se livre à cette démone bien décidée à le posséder. Il offre sa gorge, son torse à ses lèvres, ses morsures. Elle le dévore vivant, le prend dans sa bouche, le déguste, l’avale… Si Pablo a tout prévu et n’a pas lésiné sur les coussins et les cierges, cet innocent a oublié l’essentiel : un préservatif !
   Heureusement, Clothilde garde la tête froide, elle tâtonne dans son sac et lui en met un d’autorité. Pablo s’abandonne entre ses mains, il s’en remet à elle, il ne s’appartient plus. Clothilde s’empale sur lui, le chevauche, le clouant au sol, tel ce christ qu’il adore sur sa croix. Elle prend son plaisir en criant, le réveillant de sa torpeur. Doucement, il la renverse sur le dos, l’écrase de tout son poids, et l’aime longuement au cœur de cette chapelle ardente, frémissant de désir et de gratitude. Merci mon dieu pour nos corps, et tant de plaisir ! Autant de dons pour adoucir notre vie mortelle, en attendant les corps glorieux promis !
   Clothilde s’impatiente de voir ses lèvres remuer, il devrait se concentrer sur elle au lieu de penser à son dieu ! Elle l’embrasse à pleine bouche, mordant ses lèvres au passage. Ce n’est plus le moment de supplier le père éternel, c’est trop tard ! Elle resserre ses cuisses autour de son dos, l’enferme de ses bras et de ses jambes. Pablo ne pense plus, ne prie plus. Oubliées la culpabilité, les louanges… L’extase le foudroie, une explosion de sensations qui lui fait entrevoir le paradis. Le paradis terrestre !

   Photos : Film Jesus Christ de Nazareth, et la seconde prise sur le net, créditée ou retirée sur simple demande

3 commentaires

  1. Gabriel a écrit :

    Mhmmm… ayant été religieux je peux dire que s’il s’était passé quelque chose du genre, j’aurais été aux anges car les tentations sont nombreuses et parfois intolérables. Ce que j’aime dans cette histoire c’est l’insouciance, la désinvolture qui est pas mal plus intéressante que la culpabilité!

  2. Lyham a écrit :

    C’est très bien pensé (bien que je pensais que la « diablesse » allait se faire plaisir avec les flagellations pour le « punir » d’avoir failli)
    C’est super doux et a la fois violent (les mots sont doux, mais le fait qu’un homme de foi cède, et le fait que la femme est celle qui tue ses liens avec dieu en « l’empalant comme le christ » donne un sacré beau contraste)

    1. a écrit :

      C’est une très bonne idée, oui, elle pourrait se charger de la punition ^^ Merci pour ces compliments ! J’aime bien jouer avec les interdits et les tabous liés à la religion…

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