Retour de lecture de La vocation
Un livre que j’ai dévoré ! Une fois commencé, il m’a été impossible de le lâcher, tant j’étais prise par l’histoire, littéralement prise à la gorge !
Je pensais que ce serait un roman dans la même veine que L’esclave, d’Eva Delambre, mais non, pas du tout, c’est une enquête et une plongée dans ce que le bdsm a de plus extrême : l’aliénation de soi volontaire, H24. Une enquête qui se lit comme un roman, parsemée de confidences de l’autrice sur certains épisodes de sa vie, d’apports sur le bdsm en général (le contrat par exemple), de références littéraires (La venus à la fourrure, Histoire d’O…).
– J’avais déjà lu des livres construits sur ce mode : l’auteur enquête sur une personne, et en même temps, se confie, se remémore son passé, raconte des histoires connexes (Into the wild par exemple). J’avais été moyennement convaincue, mais là, Chloé Saffy a réalisé son « montage » en virtuose, la lecture reste fluide, sans « à coups » malgré les digressions. On suit le cheminement de ses pensées, de ses doutes, au fil des indices glanés – même si je me suis surprise parfois à attendre avec impatience le retour du coeur du sujet : Salomé.
En résumé : Salomé contacte l’autrice sur Messenger et lui confie peu à peu son engagement hors-normes auprès d’un couple aisé, au travail d’abord, et puis dans leur grande maison, où elle réside bientôt en permanence, à l’exception de stages qui sont de véritables morceaux de bravoure.
Salomé livre des indices, des pistes, étudiés par l’autrice qui oscille entre son envie de la croire et le soupçon d’une supercherie.
C’est l’histoire d’une métamorphose progressive, vestimentaire d’abord. Dans le cadre de son nouveau travail, Salomé est obligée de porter des vêtements élégants et sexy, ce qui lui plaît, elle si effacée d’habitude, et aussi des talons aiguille au quotidien. Une maîtrise de soi absolue est réclamée, et les exigences iront crescendo au fil du temps, jusqu’à une métamorphose plus intime, avec des transformations corporelles, douces d’abord, et plus extrêmes – mais je ne dévoilerai rien ici, je veux que vous ouvriez de grands yeux comme moi !
Entre ce couple et Salomé, il s’agit d’une relation BDSM pure et dure, sans une once de tendresse, à tel point que je me suis demandée où se situait le plaisir des uns et des autres, puisqu’il n’est que très rarement question d’épreuves sexuelles.
– Les maîtres gardent leurs distances vis-à-vis de leur esclave, et d’ailleurs il la rémunèrent. Ils se montrent pointilleux à l’extrême sur sa posture, ses habits, veillent à l’occuper en permanence, mesurent ses progrès, prévoient des châtiments en cas de manquements. Ils aiment posséder une créature, la façonner à leur guise, jouer les Pygmalion, sentir leur emprise, la voir tout abandonner pour eux et aller toujours plus loin, et ils lui en demandent toujours plus.
– Et bien sûr, le plaisir que ressent Salomé interroge, puisqu’il n’est pas question de sentiments entre elle et ses maîtres, mais uniquement de soumission. Se soumettre sans amour et sans plaisir autre que celui d’être leur « chose », voilà qui me dépasse !
Salomé n’est pas masochiste, elle ne semble pas éprouver de plaisir physique lors des épreuves, mais elle ressent de la fierté de tenir bon, de satisfaire ses maîtres. Là réside son plaisir : se sentir à sa place – une place qui semble d’ailleurs un instant menacée.
Elle reste sous leur coupe, avec très peu de marges de manœuvres, mais elle se complaît dans cette situation, cette vie réglée lui convient. Elle était trop timide pour supporter « la vraie vie » et toutes ses obligations sociales. Elle est heureuse d’être prise entièrement en charge sans souci du lendemain, dans un environnement luxueux. La liberté c’est aussi avoir des problèmes d’argent, des soucis administratifs, et pour Salomé, tout cela est derrière elle, elle ne s’occupe de rien, seulement d’obéir de son mieux. Elle semble atteindre une sorte de plénitude, mais ses maîtres ont toujours de nouvelles exigences en réserve.
Voyant le tour que prend leur relation, je me surprends à espérer un sursaut de lucidité de la part de Salomé : comment peut-elle en supporter autant ? Jusqu’où est-elle prête à aller pour satisfaire ses maîtres ?
« En creux », on devine que les contraintes ne sont pas uniquement du côté de Salomé, elles existent aussi pour ses maîtres : ils doivent rivaliser d’imagination, ne jamais laisser tomber leur masque de dominant, garder leur maîtrise de soi, leur sang-froid, leur attitude sévère et glacée, leur élégance parfaite sans jamais se relâcher, prodiguer sans cesse des « soins » à leur esclave, la maintenir en tension sans répit… Le bdsm H24, ils le vivent aussi.
La relation entre Salomé et l’autrice est décrite à merveille : on devine la réserve et la timidité de Salomé au départ, l’empathie de l’autrice qui avance pas à pas pour ne pas la braquer, et puis Salomé s’enhardit, elle envahit peu à peu la vie de Chloé, ses pensées. J’étais passionnée par le parcours de Salomé chez ses maîtres, et aussi tenue en haleine par l’évolution de sa relation avec l’autrice, sa place grandissante dans sa vie.
Comme l’autrice, je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un coup monté… et je me suis aussi demandé si l’autrice n’avait pas tout inventé ! L’existence des « stages » m’a fait douter, j’avoue : évoluant dans le milieu depuis de nombreuses années, je n’en ai jamais entendu parler, à part dans les romans (Culte de Ian Soliane, par exemple)
J’ai envie de croire Salomé, j’ai envie de croire l’autrice : il s’agit bel et bien d’une histoire vraie, ce qui rend la lecture d’autant plus terrible et poignante.
En conclusion, un livre inclassable, fascinant et terrible, avec plusieurs histoires qui s’enchevêtrent : la vie d’esclave de Salomé, la vie de l’autrice, sa relation avec Salomé….
Le récit glaçant d’un enfermement progressif, mené avec patience et tact, sans violence, et sans jamais obérer le consentement de Salomé (il est toujours requis).
C’est aussi l’effacement progressif d’une personne, même si sa personnalité n’était pas très affirmée.
Je l’ai lu en apnée, fascinée et effarée par les confidences de Salomé. J’ai refermé le livre en me posant plein de questions sur les motivations de ce couple, de Salomé, sur ce qui allait se penser ensuite. Peut-être une suite verra-t-elle le jour, la publication de La vocation servant d’étincelle ?
(Le livre précédent de Chloé Saffy était quant à lui lumineux, joyeux, festif et plein de love : La règle de trois)
L’interview de l’autrice par Cédric Lépine
La présentation de l’éditeur
L’histoire – vraie ? – d’une femme devenue la propriété d’un couple de grands bourgeois, allant jusqu’à leur offrir la disposition de son corps, métamorphosable à merci. Fascinant et déconcertant
Chloé est auteur de romans érotiques et passionnée par la culture BDSM. C’est la raison pour laquelle une jeune femme, Salomé, la contacte un jour sur Facebook. Elle souhaite, dit-elle, échanger sur ce qu’elle vit depuis sept ans.
Intriguée, Chloé découvre une histoire de soumission sans équivalent. Salomé raconte avoir d’abord travaillé dans un cabinet de gestion de fortune à Paris, où les tenues et les attitudes prescrites – toutes éminemment suggestives – ont de quoi surprendre. Deux années passent avant que le couple actionnaire de la société lui propose un poste à demeure.
Chez ces gens, Salomé aurait accepté un contrat l’obligeant à abandonner sa vie, ses amis, son prénom, jusqu’à son libre arbitre. Installée dans une chambre de leur luxueuse propriété, privée de ses affaires personnelles, elle prétend exécuter des tâches administratives et domestiques vêtue d’un uniforme à forte charge érotique. Elle subirait, en outre, de la chirurgie esthétique, des châtiments corporels, ainsi qu’une éducation sexuelle dispensée par une préceptrice. S’ajoutent à cela des » Stages d’été » d’un genre très particulier… Cependant, Salomé l’assure : la situation la comble. Elle ne souhaite en vivre aucune autre.
Histoire vraie ou divagations d’une affabulatrice ? Chloé mène l’enquête. Mais, progressivement, les confidences toujours plus crues et choquantes de Salomé lui font perdre pied…
La description de cette expérience de servitude volontaire poussée à l’extrême heurte notre sensibilité autant qu’elle fascine. La Vocation interroge la complexité de la psychologie humaine et l’étonnante diversité des fantasmes.
La vocation est parue aux Éditions du Cherche midi.
On peut le trouver à La Musardine à Paris et dans toutes les librairies
Ou en ligne, par exemple sur Amazon



2 commentaires
Bonjour Clarissa! Merci pour ce partage littéraire! J’essaierai de trouver ce titre de Chloé Saffy, qui m’a déjà fait passer de bons moments de lecture naguère. Bonne semaine à vous!
Avec plaisir ! J’ai beaucoup aimé tous les livres de Chloé Saffy également, très bonne semaine à vous aussi 🙂