Suite de mon feuilleton de la fin de l’été, après un début houleux, Chap.1 Malentendu, et une étreinte passionnée, Chap.2 Baiser enfin :
Chap.3 Proposition indécente
— Écoute-moi ! Tu vas prendre des amants, je ne suffis pas à la tâche, clairement.
Je secoue la tête, révoltée, mais bizarrement excitée aussi, à mon grand désarroi. Il insiste.
— J’y tiens absolument ! De bons amants, qui te fassent bien jouir, tu me reviendras toute joyeuse, comblée. Je t’aimerais et te désirerais encore plus,…alors tu es partante ?
Je chuchote oui, à moitié pâmée. C’est de la folie, mais ses va et vient me rendent dingue, tout comme ses propositions. Il s’agrippe à moi et jouit à son tour, longuement. Peut-être pense-t-il à tous ces inconnus qui vont se succéder en moi ? Car moi j’y pense en tout cas, et je suis de nouveau dévorée de désir. Je me plains.
— Oh, tu as joui déjà, j’ai encore envie !
— Voilà ma râleuse préférée déjà de retour… laisse-moi cinq minutes ! Une petite coupe ?
Je me mets à rire. Et s’il avait raison, si tout cet énervement que je ressens en permanence, ce n’était que du désir inassouvi, de la frustration qui tourne au vinaigre… Je me force à respirer ; avec l’attente, faire l’amour n’en sera que meilleur ! Cinq minutes, c’est rien… mais peut-il vraiment bander à nouveau en cinq minutes à près de quarante ans ? J’aimerais le croire… qu’est-ce qu’il pianote sur son téléphone à la fin ? On est censés passer une soirée romantique rien qu’à nous, loin des écrans, c’est même pour cela qu’on a quitté notre nid douillet, enduré le trajet, qu’on s’est fait mal aux fesses sur les galets, pris la pluie sur le nez… Et monsieur pianote sur son téléphone ! Encore un jeu à la con sûrement. Je me souviens encore de sa période Pokemon, il fallait courir partout, l’enfer ! Au moins, avec les jeux actuels, il reste affalé dans son fauteuil de gamer, ergonomie maximale, mon cadeau de Noël de je ne sais plus quelle année… Ce souci chaque année de trouver un cadeau de Noël qui lui plaise, il n’aime rien, à part les jeux, les séries, et on est déjà abonnés à tout. Des week-ends romantiques peut-être ? Oui, je tiens une idée là, mais pas dans le nord de la France, je choisirai plutôt les Canaries, les Maldives, Tahiti !
Mon chéri sourit tout seul, je n’existe plus, il ne me voit plus. Je pourrais partir, claquer la porte, il ne s’en rendrait même pas compte, tant il semble absorbé, à des années-lumières de moi. Je m’approche, lascive comme une panthère, et m’enroule autour de lui comme une liane. Je suis là, moi, faite de chair, de courbes, de sang chaud… Comment peut-il préférer son téléphone ! Je vais finir par le lui voler, le cacher, le jeter par la fenêtre… Il lève les yeux vers moi, m’attire à lui.
— Il ne va plus tarder…
— Mais de qui tu parles ?
— Un inconnu ! Pour toi… Il faut battre le fer quand il est chaud !
La tête me tourne, mon cœur s’arrête net un instant et s’emballe follement, je vais m’écrouler sur le sol, le Samu mettra des heures à arriver dans ce trou perdu et ensuite… Bon, concentrons-nous, il y a plus urgent !
— Mais j’ai dit oui comme ça, dans l’euphorie du moment, je ne pensais pas que ce serait pour tout de suite ! Et tu l’as déniché où cet inconnu ? Là, à l’instant ? Tu veux me livrer au premier touriste qui passe, c’est ça ton délire ? Ou au mec de la réception ? Il ne me plaît pas avec son air hautain, c’est pas non plus un palace ici, il se croit où, tu as vu le papier peint de grand-mère sur les murs, et…
Il m’interrompt, tranquille. Quel toupet, alors qu’il est prêt à m’offrir comme une pouliche à un étalon en rut… Je veux bien être sympa et réaliser ses fantasmes, je dois avouer que j’y trouve mon compte, mais j’ai mon mot à dire quand même. Ras le bol du maninterrupt, ou un truc comme ça, à bas le patriarcat, sororité ! Flûte à la fin ! La révolution, elle commence au lit… Je finis par l’écouter quand même, ravalant ma fierté de féministe contrariée. Après tout, ça m’intéresse carrément, pourquoi le nier, surtout à un certain endroit qui se rappelle à moi en trempant ma culotte…
— … je me suis inscrit sur un site de rencontres, j’ai longuement discuté avec plein de gars. Je ne jouais plus aux jeux en ligne ces derniers temps, mais à un autre style de jeux de rôles, avec toi, moi, et un inconnu…
— Tu crois que je vais avaler tes salades ! Un sites de rencontres, vraiment ? En tant qu’homme, tu peux juste discuter avec des femmes il me semble.
— Sur les sites historiques hétéro peut-être, mais là, je me suis inscrit sur un site libertin, tout le monde peut échanger avec tout le monde, c’est quand même plus sympa et dans l’air du temps ! Alors, qu’en dis-tu ?
— Espèce de fourbe, tu prépares ton coup en douce depuis des semaines, en me tenant à l’écart… et s’il ne me plaît pas ?
— Tu n’es obligée à rien, bien sûr, il vient juste faire connaissance, boire une coupe avec nous. S’il ne te plaît pas, il partira tout de suite après. Il est prévenu de la règle du jeu, aucun souci… mais il te plaira j’en suis sûr, je te connais un peu, depuis le temps ! Je vois bien qui tu regardes à la plage et aux terrasses de café.
Il me fait un clin d’œil. Des courants électriques me parcourent des pieds à la tête, énervement, excitation, un peu de tout… Je suis à deux doigts d’exploser. Tout se bouscule, je voudrais le rouer de coups de poing, l’accabler de pinçons, mais je sais que ça ne fera que le chatouiller, et je m’énerverai encore plus et m’acharnerai en vain. Il me rend dingue ! Le rire l’emporte, j’ai le fou rire, j’en pleure de rire – c’est nerveux, l’impatience mêlée d’embarras. Et le champagne. Je le supporte mal, même si l’alcool m’a toujours aidée à passer des caps délicats, il faut bien l’avouer (oraux de fac, déclarations d’amour foireuses, etc.) et là, c’est carrément un gouffre qui s’ouvre sous mes pieds et que je dois franchir allégrement, et devant lui en plus ! Je me ressaisis et sourit en montrant un peu les dents.
— Tu nous ressers et on trinque tant qu’on est encore tous les deux en amoureux ? Et tu me montres son profil sur ce site, je veux le voir !
— Non, la surprise fait partie du jeu.
Il ne se laisse pas démonter par mes demandes impérieuses et mon ton hystérique. Il reste solide comme un roc, enraciné, pas un poil de ses bras n’a frémi. Sa voix calme me trouble et m’apaise. Mon héros. Je m’attendris : tout est jeu avec lui ! Même quand il lâche ses jeux vidéos, la vraie vie devient un jeu de rôles ! Je veux bien jouer, son scénario m’embrase des pieds à la tête, tchin ! Notre pacte est scellé, nous nous taisons enfin. Je me noie dans ses yeux verts, me penche vers lui, son cou m’attire, c’est irrésistible. Juste un baiser, et puis je le mordillerai pour qu’il m’enlève dans ses bras, excédé par mes agaceries, et ensuite…
Soudain, je sursaute, manquant de renverser ma coupe. Quelqu’un vient de frapper à la porte.
à suivre…


