Paysages de la soumission masculine

2021-10-11 09

    Je viens de lire Paysages de la soumission masculine de Julie-Anne de Sée et Vera Mar, publié en mai 2021 aux Editions Ex Aequo.
    Il s’agit d’un essai sur les ressorts de la soumission masculine, les motivations des soumis qui se jettent aux pieds des dominatrices et souffrent pour elles, leurs fétichismes…

    Le livre s’ouvre sur une présentation des protagonistes : qu’est-ce qu’un soumis, qu’est-ce qu’une dominatrice… avant de nous proposer un voyage dans le passé, à la recherche des origines de la vénération masculine — si proche de l’adoration religieuse — dans les religions et la mythologie.

    La première partie, écrite par Julie-Anne de Sée, s’intéresse aux « soumis vénérateurs ».
   Un soumis vénérateur met sa Maîtresse sur un piédestal, l’idéalise, l’idolâtre. Il s’offre à toutes ses fantaisies, il peut aller jusqu’à se rabaisser à un rang d’animal ou de meuble, jusqu’à ne plus jouir, se frustrant volontairement pour elle.
    Il est souvent fétichiste, des pieds par exemple. D’autres soumis vont être attirés par les vêtements féminins, aimer se travestir. Il y a l’humiliation d’être ridiculisé, ou le désir d’abandonner le poids du masculin, de jouer avec un changement de genre. (Ils restent dans leur identité masculine, mais peuvent aller loin, en procédant parfois à des épilations, voire la prise d’hormones pour gagner des seins).
   Les émotions entrent en jeu, les soumis vénérateurs sont souvent très amoureux, en manque, dépendant de leur Maîtresse. L’auteure souligne le risque d’une relation D/s avec de tels soumis vénérateurs : ils peuvent se complaire dans leur rôle, l’image qu’il renvoie, et finissent par dicter à leur Maîtresse ce qu’ils veulent endurer, réclamant toujours plus. On parle parfois de « souminateur ».  
    J’ai noté cette citation de François David qui m’a interpellée : « On touche ici à un paradoxe : le soumis qui vénère sa domina et en est amoureux (…) veut inconsciemment prendre le contrôle sur elle pour en obtenir une gratification narcissique (…) c’est alors le soumis qui devient dominant. »

    Les analyses et les hypothèses de l’auteure sont émaillées de témoignages de soumis qui viennent appuyer son propos. J’ai aimé découvrir leur vision de la soumission, ce qu’ils aiment, ressentent… J’ai même commencé par lire tous les témoignages, avant de reprendre le livre depuis le début !
    Des soumis très différents, par leurs pratiques, leur âge, leur parcours, unis par un même lien avec leur Maîtresse, et leur goût pour le BDSM. Ils expliquent que leurs séances ont souvent des répercussions heureuses dans leur vie de tous les jours : ils s’acceptent mieux, prennent de l’assurance.

    Les dominas ne sont pas oubliées, plusieurs témoignent – j’ai particulièrement aimé les citations de Catherine Robbe-Grillet ! Selon les cas, elles ont parfois été soumises avant, ou bien marquées par une éducation religieuse, ou se sont senties d’emblée dominas. Certaines sont dominas pour se venger des hommes, et laissent libre cours à leur sadisme ; un soumis parlent de « bouchères ». D’autres deviennent dominatrices pro, et gardent une certaine distance vis-à-vis des soumis. Les soumis sont des « clients », ils paient pour une prestation, ce qui risque de renverser les rôles.

    La deuxième partie du livre, écrite par Vera Mar, traite des soumis masochistes.
    Les soumis masochistes, eux, recherchent la douleur avant tout. L’auteure décortique les mécanismes à l’œuvre : ils trouvent leur plaisir via le lâcher-prise, et l’atteinte du subspace, cet état modifié de conscience provoqué par la libération d’endorphines, d’adrénaline ; des substances chimiques naturelles qui provoquent une sensation de flottement euphorique pour contrer la souffrance. C’est une sorte shoot qui fait « décoller », et remplace la douleur. 
    Ces soumis veulent toujours aller plus loin, ils recherchent des pratiques extrêmes, car c’est comme une drogue, il faut augmenter les doses pour atteindre le subspace, et certains sont prets à se mettre en danger. Le livre aborde les différents risques des pratiques les plus engagées : noyade, pénétrations d’objets, ou  même le Shibari.
    La dominatrice d’un tel soumis se doit de rester vigilante, veiller à ne pas aller trop loin, et à augmenter graduellement la souffrance.
    Dans tous les cas, le cadre est bien sûr consensuel, les limites ont été discutées, un safe word est souvent choisi. Des soumis témoignent là aussi, ils évoquent leurs limites : le fouet pour certains, les aiguilles ou encore tout ce qui est scato pour d’autres…
    Ils racontent aussi leurs premières expériences : parfois à l’école ou avec leurs parents pour les plus âgés, quand les « châtiments corporels » étaient encore pratiqués, ou grâce à certaines lectures enfantines, comme les livres de la Comtesse de Ségur. D’autres ont vécu leurs premiers émois avec une pro, ou seul. J’ai été étonnée de lire que plupart ont l’air de continuer à s’adonner au BDSM en cachette de leur compagne « vanille » – comment réussir à taire ce qui prend tant de place dans leur vie et leurs fantasmes ?  

    Un livre qui m’a beaucoup intéressée sur un sujet qui me passionne ! Documenté, sérieux, riche, illustré de nombreux témoignages et abordant de nombreuses pratiques BDSM. Les motivations des soumis pour s’offrir et souffrir m’ont toujours fascinée, je pense que je comprends mieux leurs motivations et leurs désirs à présent.
    Mais je n’ai pas trouvé de réponse à la question que je me pose parfois 😉 : pourquoi y a-t-il tant de soumis sur les réseaux sociaux et en soirée, et si peu de dominatrices ? (enfin, du point de vue de ma lorgnette, qui est loin d’être exhaustive ^^)

    La présentation de l’éditeur
    Phénomène sociétal en pleine expansion, le BDSM se décline en termes de domination et de soumission. Traditionnellement associée à la gent féminine, la soumission séduit aussi de nombreux hommes. Cette posture psychologique, si contraire à celle usuellement attribuée aux mâles, comporte de nombreuses facettes. Dans cet essai, les autrices en ont exploré deux, à l’aune des observations qu’elles ont pu faire sur le terrain : la vénération et le masochisme. Autour de ces deux axes, elles ont interrogé les motivations, les fantasmes, les désirs de ces hommes pour lesquels s’incliner devant une femme, parfois jusqu’à la dissolution temporaire des propres limites, est un besoin puissant, parfois irréfrénable. Sur le socle des témoignages de ces hommes soumis, Vera Mar et Julie-Anne de Sée ont tracé les contours de ce sujet, enrichissant leurs observations à la lumière de la littérature, la psychanalyse, la sociologie et la science.

    Pour le commander

    Les Editions Ex Aequo

    Amazon

2 commentaires

  1. Clarissa a écrit :

    Bonjour, C’est vrai que l’on associe souvent « soumis » et « masochiste », à tort car de nombreux soumis ne sont pas masochistes (ils aiment adorer, masser, rendre service, se travestir, ou autre, mais pas souffrir), et il y a aussi des masochistes qui ne sont pas soumis. Ils aiment les sensations liées à la douleur, ils savent la transformer en plaisir… Ils apprécient les pratiques Bdsm : subir le fouet, les pinces, les aiguilles etc… sans être dans une démarche de soumission. Ils sont joueurs, curieux, avides d’expériences et de sensations ! J’en connais, je pense à un ami en particulier… ce sont de super partenaires de jeux !
    Merci 😊 je vais continuer alors !

  2. KinkyGeek a écrit :

    Bonjour,
    Je lis votre blog régulièrement et voici juste une question que la lecture de ce billet m’amène (et que je me pose régulièrement ces derniers temps d’ailleurs): en quoi être masochiste implique d’être soumis? Car c’est clairement pré-supposé de manière général (en tout cas dans mon expérience). Bref la question me taraude Bonne journée à vous et continuez d’écrire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de l’auteur

Blogueuse