Le dominant de mes fantasmes

histoire

   Remuer des fantasmes peut nous jouer des tours dans la vraie vie, surtout si on les expose noir sur blanc dans un roman 😉

   Je tente depuis quelques temps de me sevrer de mes addictions aux réseaux sociaux – je ne sais pas si ça se voit ? Je me connecte moins, et uniquement depuis mon ordinateur. Je rate sûrement des infos, des posts amusants ou émouvants, ça me chagrine un peu, mais tant pis. Je regarde plus souvent les arbres ou le ciel, et mes bras me remercient, fini les tendinites !
  Mais le matin, je m’y adonne avec joie, je m’y vautre jusqu’au cou, tel une hippopotame dans sa flaque de boue ! Je lance ma playlist (en ce moment, des musiques épiques de jeux vidéo), je me prépare un café et m’offre une heure de récréation pour parcourir les publications de mes amis, et participer moi aussi aux échanges dans ce café du commerce 2.0. Je me tiens au courant des derniers potins et dramas, des soirées, des aventures et mésaventures des uns et des autres, en essayant de ne pas perdre trop temps sur mes groupes préférés – plein d’humour, certes. Je poste des bêtises pour m’amuser avec les commentaires de mes amis, je consulte mes messages, Facebook, Instagram, parfois Twitter et Fetlife si ça me chante… j’évite les storys, sinon demain j’y suis encore. Un deuxième café s’impose !
  Je devrais m’attaquer à ce nouveau projet d’écriture qui me trotte dans la tête, mais souvent, je procrastine, je vais fouiller dans mes spams Messenger et Instagram pour prolonger le moment, et rire peut-être, car de véritables perles s’y cachent parfois.
  C’est le cas aujourd’hui !
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  Au milieu de plusieurs messages inintéressants « cc ça va ? », « je veux être ton soumis », et autres « je suis prêt à tout pour vous maîtresse » (en fait à rien, j’ai déjà répondu à ce genre de mails pour voir), une photo m’attend : mon roman Le Village des soumises, entre les mains d’un homme, accompagnée de quelques mots. Je note au passage qu’il a de belles mains, même si la photo est un peu floue.
  — Bonjour, hâte de vous lire. Bien à vous, Franck.
  Je ne peux m’empêcher de répondre aussitôt, en plus cela fait plusieurs jours que ce message patiente dans mes spams.
  — Je suis contente ! J’espère que vous aimerez…
  — Les deux premiers chapitres commencent bien ! J’ai déjà un faible pour Chloé… Chloé est une soumise comme je les aime, romantique et érotique.
  — Merci pour ce retour ! Chloé, c’est le personnage dans lequel j’ai mis le plus de moi-même ! Mais chut, c’est un secret.
  — Alors vous me plaisez beaucoup… Je suis intrigué par l’arrivée du couple de journalistes… Impatient de connaître la suite ce soir.
  — Suspense !
  Le lendemain, la discussion se poursuit naturellement avec ce lecteur charmant, distingué, un rien affecté.
  — J’aime beaucoup le dessin du village, comme une nouvelle carte du tendre… pas de nouvelle pour l’instant des deux pieds nickelés en tenue de bal, en attendant je crois que Chloé a trouvé son maître, elle le mérite… vous le méritez !
  — Le maître de Chloé ! Un peu old shcool mais si séduisant. Je suis confuse d’avoir étalé mes fantasmes page après page, et d’être percée à jour si facilement.
  — Je comprends votre confusion, vous méritez une tendre punition. Je me sens très proche de Paul… Ravi de vous désirer autant par vos mots. Hâte de lire la suite ce soir !

  Les jours passent, nos échanges s’enchaînent, plaisants, légers, un peu surrannés parfois.
  — Bonjour Clarissa, j’aime la pureté insouciante de Chloé qui profite pleinement de son maître, et découvrir grâce aux deux journalistes le côté sombre du Village.
  — Merci Franck ! Oui, j’ai voulu alterner les scènes de jeux et l’enquête. Mais je crois que les passages érotiques l’emportent largement…
  — Oui, tous vos personnages profitent bien de leurs vacances !

  Ce matin, mon correspondant préféré m’envoie une photo de lui dans un train.
  — Plaisir de vous lire dans le train…
  — Oh j’adore les trains !
  — Oui, un lieu propice aux fantasmes et j’avoue que c’est excitant de pouvoir écrire à l’auteure durant ma lecture, de lui faire part de mes ressentis au fur et à mesure….
  — Et de mon côté, ça me fait de l’effet de recevoir les impressions du lecteur, de savoir où il en est, où il me lit…. les trains et moi, c’est toute une histoire en plus !
  — Je suis curieux de connaître vos histoires de train…
  — Si c’est possible, je veux bien une photo du livre sur la tablette, mais s’il y a un voisin ou une voisine curieuse, on va éviter !
  — Là je suis déjà sorti du train, mais j’y penserai la prochaine fois, l’idée de vous faire plaisir me comble, vous en donnez tellement. J’étais avec ma soumise et compagne.
  — J’aime beaucoup être lue dans le train, et vous êtiez bien accompagné, heureux homme !
  — Merci ! J’ai plein de fantasmes qui tournent dans mes pensées… je rêverais de vous les raconter…. ou de vous les faire vivre…
  — Ils pourraient m’inspirer un prochain livre !
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  Le lendemain :
  — Bonjour Clarissa, vous lire accentue la qualité de mes désirs ! Quelle soirée magnifique ce bal masqué, et ce cours de dressage avec Sébastien, quelle imagination torride vous avez ! J’ai terminé votre roman, j’ai vraiment beaucoup aimé ce village des soumises de rêve
   — Merci !
   — Vous avez nourri mes goûts raffinés. Et c’est vraiment très agréable de se sentir en osmose avec les écrits d’une femme.
   Je rougis de plaisir, heureusement que je suis derrière mon écran.

   Franck a terminé mon livre, mais nos échanges se poursuivent sur plein de sujets, autour de l’érotisme, toujours. Il m’envoie des photos de charme, réagit à mes posts et storys… Chaque matin, je me réjouis de découvrir ses compliments fleuris, les belles photos qu’il choisit pour moi. C’est devenu un petit rituel auquel je tiens en buvant mon café. Au fil du temps, notre complicité s’étoffe, nous nous sommes mis à nous tutoyer. Des échanges toujours plaisants, teintés de sous-entendus grivois qui me font sourire. Mais cette fois, je marque un temps, saisie.
  — Bonjour Chloé-Clarissa ! Es-tu de rouge vêtue ? Il me semble t avoir croisée : une femme en rouge à l’angle du métro Bidule est passée devant moi à toute vitesse, manquant de me percuter. Je l’ai regardée, elle m’a regardé, s’est excusée en murmurant « pardon ». Sa silhouette rouge s’est éloignée. Rêve et réalité se mélangent ! J’aurais aimé lui pardonner à ma façon.
  — Mais oui, c’était moi ! Je suis souvent dans ce secteur….  Pourquoi ne pas m’avoir abordée ! Tu habites par là aussi ?
  — J’habite rue Untelle ! J’étais surpris, incertain… difficile de demander à une belle inconnue si c’est bien elle qui nourrit mes fantasmes libertins !
  — Et moi j’habite non loin, tout près du métro Machin ! En effet, je comprends… je n’aurais sans doute pas osé non plus à ta place.
  — La puissance du hasard, incroyable ! À présent, te savoir si proche attise l’imaginaire… Que nous propose cette coïncidence ?
  — Un café ensemble bientôt ?
  — Ok pour un café en terrasse chez Truc s’il fait beau ! Ou à l’abri de la pluie à côté….
  — Je vais souvent chez Truc !
  — Calons nous un café : 14h30 demain par exemple ? En terrasse au soleil, si cela te convient ?
  —  D’accord pour jeudi ! Mais je n’aime pas trop le soleil, je me tiendrai à l’ombre…  Je porterai une veste en cuir noir et une écharpe rouge ! à demain…
  — Belle tenue en perspective…

  Je ne suis pas sûre que la terrasse soit ombragée, je décline sa proposition de monter sur le toit. Nous nous trouvons une table à l’intérieur. Il me raconte son goût pour la littérature érotique. Il a remarqué mon livre par hasard, alors qu’il avait rendez-vous dans le nord de Paris ; mon livre était dans la librairie Gibert toute proche (petite pensée émue pour les Editions Tabou qui ont veillé à distribuer mon roman à la FNAC, chez Gibert…et pour Gibert  qui l’a mis en évidence !). Je lui parle d’autres auteurs que j’aime dans l’univers BDSM : Eva Delambre, Emma Cavalier… Il me montre ses photos, « son univers », il est photographe quand son métier lui en laisse le loisir. Nous avons les mêmes goûts ! L’esthétisme de l’érotisme et du BDSM…
  J’ai envie de découvrir la terrasse, je n’y suis pas allée depuis l’été dernier. Bonne surprise, il y a des parasols ! Nous nous asseyons à l’écart, à l’ombre. Nous pouvons bavarder plus intimement, loin des oreilles des curieux.
  Il me raconte combien il aime dominer, c’est dans sa nature, dominer avec sensualité, douceur. Il me confie ses fantasmes : pouvoir convoquer une soumise à tout moment, lui demander de le rejoindre, à son bureau ou chez lui, dans telle tenue… ensuite, il laissera libre cours à son imagination. Il l’attachera peut-être, et puis lui dira de l’attendre, afin de la retrouver frémissante et fondante de désir quand il reviendra enfin. Il promènera un doigt sur son visage et elle l’engloutira goulument dans sa bouche. Ou bien il la gardera avec lui, l’installera sous son bureau tandis qu’il travaillera. Elle ne restera que le temps de le sucer ou d’être prise, appuyée à la table ; il a du travail.
  — Ce pourrait-être vous peut-être, Clarissa-Chloé
  Je ne sais qu’en penser, il me prend au dépourvu. Pour l’instant, j’ai envie de jouer le jeu, de voir où il va nous mener.
  Franck poursuit sur sa lancée, sans me laisser le temps de rebondir sur sa proposition voilée ; ça m’arrange.
  — J’aime l’esthétique, la beauté des moments BDSM, dans l’intimité ou les lieux publics… j’aime par exemple donner rendez-vous dans des musées, des galeries d’art… Admirer une œuvre, tout en serrant ma soumise contre moi, et l’étrangler, plonger mes doigts dans son intimité, la découvrir trempée… le lieu public, la présence des visiteurs ajoutent au trouble, il en faut très peu pour nous envoler…
  Je me souviens de cette exposition avec des toiles monumentales entre lesquelles je me glissais avec un amant. Divines étreintes, pimentées par la crainte d’être surpris ! Désir et peur se mélangeaient et m’excitaient comme jamais…
  J’interromps le fil de mes souvenirs, sous le charme de Franck, dont les fantasmes semblent correspondre aux miens.  
  — Je pense aussi au cimetière du père Lachaise, éros et thanatos enfin réunis, ajoute-t-il en me regardant fixement, sans doute pour ne rien perdre de mes réactions.
  Je ne sais qu’en penser, j’ai vu de très belles photos suggestives prises dans ce cimetière. Mais poser dans une ambiance gothique est une chose, « s’activer » derrière une tombe en est une autre ; je ne suis pas certaine de le vouloir. Par pudeur, par respect pour le repos éternel des habitants du lieu et de leurs visiteurs peut-être…
  — Et même ici sur cette terrasse ! insiste Franck. On ne peut pas aller très loin, c’est trop risqué, aussi chaque geste est délicieux et chargé en émotions, aussi infime soit-il. Là mon cœur bat plus vite, je me dis que j’ai peut-être trouvé Chloé.
  Il effleure d’un doigt mon visage, mon cou, le promène sur ma bouche. J’hésite à avaler son doigt comme dans son fantasme, mais je renonce, je préfère rester sur le seuil de l’histoire.
   Il glisse sa main sous mon chemisier, une main glacée sur ma peau tiède. Je frissonne, mon cœur fait une chute libre de mille mètres, je manque d’air. Je me sens déjà à lui, par le seul pouvoir de cette main fraîche qui caresse mon ventre. Je serai peut-être bientôt cette soumise qui accourt au moindre sms pour le sucer, avant de repartir en se léchant les lèvres…

  Deux heures ont passé en un éclair, nous redescendons par l’escalier. Cinq étages d’escalier désert, un non-lieu rien qu’à nous. Il m’attrape, me plaque contre le mur, empoigne mes cheveux. Je déteste qu’on me tire les cheveux – il ne pouvait pas le savoir, mais il le comprend vite et saisit ma nuque à la place. Je m’affaiblis, j’abdique toute raison, je me rends, tendue vers lui… Il me scrute de son regard perçant, je le sens à deux doigts de me faire agenouiller et de fourrer son sexe dans ma bouche. Un reste de bonne éducation le retient, et ma timidité m’interdit de faire comme mes héroïnes de roman, me mettre à genoux, défaire sa ceinture, descendre son pantalon, faire jaillir son sexe… Toute la scène se déroule dans mes pensées et suffit à mon bonheur.
  Nous quittons le café, je me tiens indécise devant lui. L’embrasser sur les joues en bonne copine ? Lui faire un hug ou un simple signe avant de partir de mon côté ?  Il met fin à mes hésitations en saisissant ma main. Il la serre, fort.
  — A très bientôt, vous pouvez compter sur moi. Vous recevrez mes instructions. Sinon, je suis ici tous les matins, à partir de 8h30, si vous voulez me revoir.
  Je remarque seulement que le vouvoiement est revenu dans nos échanges, signe d’une relation D/s, d’un début en tout cas. Je m’incline, un peu nerveuse ; mes pensées tournent à toute vitesse : est-ce que je préfère le revoir autour d’un café ou directement « en situation » !
   Il n’attend pas ma réponse, son travail l’attend. Il tourne les talons et s’en va sans se retourner, tandis que je le suis des yeux, dans cette rue que je connais par coeur. Sa jeune stagiaire l’a déjà appelé deux fois pour des broutilles, elle ne doit pas être sereine de rester seule. Ou bien elle a hâte de revoir son charismatique patron et de se glisser sous son bureau. Nous serons deux un jour peut-être !
  Je marche au hasard dans les rues, sonnée, les pensées chauffées à blanc par ces perspectives qui s’offrent à moi : un dominant comme dans mon roman, classe, épris de beauté, soucieux du plaisir des femmes… et habitant tout près de chez moi ! C’est presque trop beau pour être vrai ! J’ai le vertige, partagée entre l’envie de me jeter à corps perdu dans l’expérience, et quelques réserves : est-ce que cela va me plaire, la soumission ? J’ai beau remuer de nombreux fantasmes, en écrire des pages et des pages, quand il s’agit de passer à l’acte, je me retrouve plutôt de l’autre côté du manche de martinet.
  L’appel de l’aventure et la curiosité ont raison de mes réticences : je vais m’offrir à lui ! Sans attendre, je m’empresse d’ouvrir ma messagerie Instagram pour lui faire part de ma décision. Il m’a déjà écrit – c’est amusant ce dominant empressé qui ne me laisse pas le temps de mariner ! Je souris jusqu’aux oreilles.
  — Je suis de retour dans mon agence, ravi de partager nos rêves et les mettre en jeux bientôt
  — Merci pour nos échanges, et nos futures rencontres !
  — Merci à toi Clarissa-Chloé…

  Et maintenant, j’attends. J’attends une invitation, une convocation, à deux pas de chez moi ou à l’autre bout de Paris… Je fantasme toute seule sur le lieu, les défis à relever… Dans quelques jours, si je n’ai pas de nouvelles, j’irai prendre un café chez Truc à 8h30. Je reviendrai tous les jours s’il le faut.

***

  Effectivement, c’était trop beau pour être vrai : un dominant comme dans mon roman, Paul qui s’incarne soudain sous mes yeux en chair et en os, et habite tout près de chez moi de surcroît !
  Toute cette histoire est inventée, écrite pour m’amuser, comme un rêve éveillé, une mise en abyme fantasmée… Mes plus plates excuses à ceux et celles qui y ont cru ^^ (mais c’est peut-être un réve éveillé prémonitoire ?)

  Merci aux amis qui m’ont envoyé les photos !

4 commentaires

  1. Clarissa a écrit :

    Merci Chris ! Je suis curieuse de ton essai…

  2. Chrislanuit a écrit :

    Cela fait du bien de sortir du bocal, ne trop publier sur les réseaux. J’ai cru un moment que tu avais disparu, n’étant moi même plus trop sur Internet. Jolie correspondance, le lot d’une écrivaine de récits érotiques. Cela fait plaisir de constater qu’il reste en ce monde des Gentlemen, prêts à tout pour une reine. J’espère ne pas en drainer tout autant par mon essai cet été, qui risque d’attirer l’attention d’une toute autre faune, plus sadique, moins romantique.

  3. Clarissa a écrit :

    Merci ! j’aime bien mélanger le vrai et le faux, rêver toute éveillée… et parfois, les rêves deviennent réalité ! Je suis contente que vous ayez aimé mon histoire, et que vous l’ayez lue deux fois je suis surprise et ravie…

  4. Fennec a écrit :

    Trop sympa trop bien écrit. Trop vrai faux un vrai rêve qui devrait être reel plus souvent .jadore votre livre je l ai lu relu 2 fois ..merci bon we a vous

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