Je même en elle, de Julie-Anne de Sée

Je-meme-en-elle

   Après son essai sur les soumis co-écrit avec Vera Mar, Paysages de la soumission masculine, Julie-Anne  de Sée nous propose un essai sur les « Gender fluid », tous ceux et celles qui oscillent entre le féminin et le masculin, en particulier les hommes qui se féminisent.
   La société nous impose deux genres : masculin et féminin, en phase avec nos sexes biologiques de naissance. Mais de plus en plus, ils et elles sont nombreux et nombreuses à se libérer des diktats de la société et adopter les codes et les manières d’un autre genre que celui assigné à la naissance, à des degrés divers : travestis, sissys, T girl, transformiste, drag queen, queer…
   – Le sujet m’intéressait beaucoup, je croise souvent des personnes queer dans les événements kinky : des garçons adoptent le maquillage et les paillettes, portent des bijoux, des tutus et des froufrous ; ils sont de plus en plus beaux ! – certains sans renoncer à leur genre, d’autres pour se travestir complètement, adopter les manières féminines. Des soirées aux mille couleurs et plus festives que jamais !

   Julie-Anne signe un livre érudit, documenté, riche en enseignements historiques, mythologiques, socio-culturels dans sa première partie – j’ai été très intéressée par l’exemple de la Polynésie notamment, où il est tout à fait accepté que des hommes se travestissent et se conduisent en femme ouvertement.
   Cette première partie nous apprend que la fluidité dans le genre n’est pas seulement un phénomène de mode actuel, elle a toujours existé sous une forme ou une autre, dans différentes cultures, à différentes époques.

  La seconde partie est consacrée aux témoignages, souvent émaillés de réflexions philosophiques ou sociologiques, avec parfois des digressions sur des thèmes précis : les miroirs, l’adultère…
   Chaque personne interviewée apporte un nouvel éclairage en vivant différemment sa fluidité de genre, avec des mots touchants, des confidences intimes. Ils ont tous des personnalités attachantes. La solitude de certains, leurs difficultés à s’épanouir dans leur fétichisme en raison de leur éducation, de leur vie de famille, m’ont serré le cœur. Souvent, ils doivent se féminiser en cachette – mais peut-être est-ce une question de génération, pour ceux qui ont plus de 40 ans ? Les plus jeunes ont moins de difficultés je pense, et peuvent en parler ouvertement, ils se soutiennent sur les réseaux sociaux, lors d’événements dédiés, et leurs copines doivent avoir l’esprit plus ouvert que leurs aînées sur ces sujets.

   Nous faisons par exemple la connaissance de Jean qui devient Caroline quand il se travestit. Il raconte combien il aime se vêtir en femme, il apprécie les matières, et cherche « à ressentir ce qu’une femme éprouve quand elle veut séduire ». Il se travestit seul, devant son miroir, on sent que sa solitude lui pèse.
  D’autres, qui postent des photos d’eux sur les réseaux sociaux, recueillent des commentaires élogieux, se sentent sûrement moins seuls.
  Certains vont plus loin encore, comme Julie, et sortent dans la rue, s’exhibent, s’amusent à se mêler aux femmes lors de virées shopping…
  Julie-Anne souligne le caractère parfois exagéré de l’imitation : maquillage outré, très hauts talons… Féminisation ou caricature avec un relent de patriarcat ?  En effet, certaines adorent être traitées de petites salopes, de petites chiennes en chaleur…
   Les sissys sont des soumis travestis, le plus souvent en soubrette, afin d’accomplir des tâches ménagères sous la houlette de leurs dominatrices qui veilleront à parfaire leur éducation de fille. Cela peut aller très loin, comme dans le cas de Claire, contrainte par ses deux maîtresses de nier sa masculinité jusqu’à porter sa cage jour et nuit, au risque de mettre définitivement en péril ses érections.
  D’autres sissys, telle Jennifer, sont plus libres, elles font des rencontres, participent à des soirées privées…
  Pour beaucoup, comme Virginie qui se présente comme une T girl, outre le plaisir de se féminiser, il y a aussi le plaisir d’être pénétrée. La plupart restent hétérosexuels cependant, et s’ils se font pénétrer, c’est uniquement par une dominatrice dûment équipée d’un gode-ceinture.
   Il y a aussi ceux qui se travestissent à des fins artistiques. On pense bien sûr au look merveilleusement androgyne de David Bowie en son temps, et à présent, les shows de drag queen ont de plus en plus de succès : elles se métamorphosent en femmes somptueuses le temps d’un spectacle de cabaret.

   La plupart des personnes interviewées ressentent ce besoin de se féminiser depuis l’adolescence : goût pour les sous-vêtements de leur cousine, de leur mère… Ils reconnaissent que ce goût du travestissement est devenu une drogue. Parfois, ils essayent d’arrêter, par exemple à l’occasion d’un coup de foudre, mais sans succès à long terme. Le besoin de redevenir fille revient, une fois les plaisirs de la vie vanille émoussés.
   Le plaisir de se vêtir, de se mettre de faux seins, parfois une cage de chasteté… leur suffit en général. Ils ne passent pas le cap de la prise d’hormones, ne nient pas leur sexe d’homme. Et si certains en prennent un peu, c’est juste pour gagner des seins naturels.
   J’attendais le témoignage et le parcours d’une personne souhaitant changer complètement de sexe et allant jusqu’au bout de sa démarche, ça m’aurait intéressé, car je connais plusieurs personnes qui s’épanouissent sur ce chemin difficile. Peut-être dans un tome 2 ? Mais c’était sans doute hors sujet, puisque ces personnes deviennent alors des femmes à part entière jusque dans leur état civil, Julie-Anne ne s’intéressant dans son essai qu’aux situations « entre deux ».

   Le livre se consacre aux garçons choisissant de se féminiser, mais quelques pages évoquent les femmes qui se travestissent : Mulan, Jeanne d’arc, George Sand, Colette… le plus souvent pour obtenir la liberté d’un homme de leur époque.

   Un grand merci à Julie-Anne et aux Editions Tabou pour cette lecture très intéressante ! Une mention spéciale pour la très belle couverture ! (C’est toujours le cas avec les Editions Tabou 🙂 )
   Aujourd’hui, la fluidité dans le genre est entrée dans notre culture et bienvenue dans la société (quelques fâcheux protestent encore, assimilent féminisation et homosexualité et critiquent tout ce qui a trait au genre, mais ils ne vont pas résister longtemps, c’est un combat d’arrière-garde, perdu d’avance). Les films, les séries, la mode, la musique… s’en sont emparé, les dernières réticences tombent. Une ère de tolérance et de bienveillance s’ouvre, et permet à chacun d’être qui il veut, comme il le sent, sans jugement, le temps d’une soirée ou au quotidien !

   La présentation de l’éditeur

   Jamais le genre n’a autant fait couler d’encre, enfiévré les médias et les réseaux sociaux. Véritable phénomène sociétal, ou simple effet de mode ? Le genre et sa fluidité a toujours été sujet et objet de préoccupations, de fantasmes, de tabous, voire de répression. De l’antiquité à nos jours, de l’androgyne originel aux artistes se jouant des genres, le désir de devenir cet autre du genre qu’ils n’ont pas est incoercible chez ces hommes qui se féminisent, ce en dépit de condamnations édictées au nom de la morale publique ou de l’éthique religieuse. Des hommes se livrent, des portraits se dessinent. C’est en les revisitant à l’aune de la littérature, des mythes et des textes fondateurs, des arts et des sciences humaines que l’on peut mieux saisir ce qui les anime. En ce XXIe siècle, notre société hétéronormée est-elle prête à accepter ceux – et celles – qui oscillent entre deux genres ? Est-elle plus encline à les accueillir avec bienveillance ? Qu’ils soient sissy, travesti, t-girl, cross-dresser, fétichiste travesti, queer ou drag-queen, il leur est encore parfois difficile d’oser affirmer : “Je” même en “elle”.
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