Dans la liste de mes fantasmes, un individu mythique manquait cruellement : l’écrivain !
Sûrement influencée par tous nos échanges sur le Salon Livre Paris, en particulier sur un genre qui remporte beaucoup de succès actuellement : la romance (on a besoin de rêver on dirait !), je répare mon oubli, et je m’amuse à reprendre tous les codes de ces fameuses romances : une héroïne mal peignée et peu sûre d’elle, un auteur reconnu et brillant, un contexte romantique : la littérature…. what else… (bon, lui devrait être arrogant, hautain, mais je n’ai pas pu, je me suis contenté d’en faire un ours mal léché – mais plus pour longtemps 😉 – Un écrivain sauvage et taiseux, mais au coeur tendre et cachant une blessure secrète, qui fume trop, boit à l’excès, successfull… et super beau of course, genre Colin Firth dans Love Actually, pas moins)
Vous me demandez souvent comment j’invente mes histoires… celle-ci m’est venue lors d’un déjeuner sur l’aire de pique-nique du Salon du livre, tout au fond : qu’est-ce qu’il se cache derrière ces grands rideaux blancs, au-delà de cette frontière, on trouve quoi ? Un univers parallèle peuplé de monstres ? Un voyage dans le temps ? Un abri pour des amours cachées ?
***
Clara se sent des ailes. Elle ne s’impatiente pas comme les autres dans la longue file d’attente devant l’entrée du salon Livre Paris. Elle sourit toute seule, son cœur se serre de joie et d’impatience. Aujourd’hui est le plus beau jour de sa vie. Elle va le rencontrer !
C’est enfin à son tour d’entrer. Avant tout, se refaire une beauté dans les toilettes. Clara n’a aucune confiance en elle. C’est une chose d’échanger des messages amicaux sur Facebook, bien cachée derrière son ordinateur ; c’en est une autre de se montrer au grand jour et reprendre le fil des échanges virtuels, les yeux dans les yeux. Penchée vers le miroir, elle contemple sans concession son visage. Elle rajuste son maquillage, arrange son décolleté sous les regards goguenards des femmes qui passent derrière elle. Cette rouquine se croit donc belle avec son teint livide, ses cernes, ses cheveux emmêlés qui peinent à descendre jusqu’aux fesses…
Clara ignore les regards désapprobateurs et s’attaque à ses cheveux, avant de renoncer. Trop de nœuds. Elle enlève ses lunettes un instant et se retrouve aussitôt plongée dans un brouillard épais. Clara les replace sur son nez en soupirant. Tant pis. Une petite souris timide et intello ne sera jamais une bombe sexuelle. Elle se détourne de son reflet et s’échappe, heureuse de rejoindre la joyeuse cohue et le brouhaha du salon.
Elle est arrivée tôt. De longues heures s’étendent devant elle. Des heures d’errance, pleine d’attente, avant de le voir enfin, lui, son idole, avec qui elle a rendez-vous. Un café, à la fermeture du salon. Dans plus de cinq heures. Soupir. Elle est déjà passée plusieurs fois devant le stand de sa maison d’édition, enviant l’aisance et le naturel des lectrices qui l’abordent, n’osant faire de même. Elle rôde autour des stands environnants, fait semblant de s’intéresser aux livres exposés. Tout pour le contempler du coin de l’œil, cachée derrière ses cheveux.
Elle aime tellement ses livres ! Il y a quelques mois, elle a fini par trouver le courage de lui écrire. Des dizaines de messages ont été tapotés, annulés, recommencés, avant qu’elle n’ose cliquer sur envoyer. Elle s’en souvient comme si c’était hier. L’attente, fébrile, les yeux rivés sur son écran… Heureusement pour son cœur, Jean n’a pas tardé pas à lui répondre, d’un ton à la fois chaleureux, distant, affectueux, qui n’appartenait qu’à lui. Il lui avait dit qu’il viendrait au Salon du livre de Paris, il serait ravi de connaître bientôt sa plus fidèle lectrice. Presque un rendez-vous d’amour !
Comme c’est long d’attendre, l’après-midi n’en finit plus. N’y tenant plus, incapable de s’intéresser aux autres auteurs, Clara lui envoie un sms pour lui proposer d’avancer leur rencontre, de prendre un café dès qu’il souhaite faire une pause. Elle a très chaud, elle rougit de son audace, hésite même à partir en courant. Mais il accepte. Le cœur battant à tout rompre, Clara esquisse une petite danse de joie dans l’allée toute proche.
Jean ne voulait pas venir. Il a résisté tant qu’il a pu. Depuis qu’il s’est installé dans sa maison de campagne, il vit en ours bourru et solitaire. Il est de plus en plus difficile de l’inviter et de le voir. Il préfère rester avec son ordinateur, son feu de bois, entre ses cafés serrés et ses cigarettes, confiné, écrivant toute la journée. Pas de femme pour se plaindre et l’obliger à respecter des horaires. La liberté d’écrire, dormir, manger, quand il le souhaite. Il ne se sent jamais seul. Des milliers de femmes se reconnaissent dans ses écrits, elles sont nombreuses à lui écrire et leurs correspondances passionnées l’amusent et le détendent. Beaucoup lui racontent leur vie, demandent des conseils. Elles lui donnent des idées d’histoires. Il accepte volontiers de perdre un peu de temps en tchattant avec elles. Il s’est toujours promis de ne jamais les rencontrer, craignant de se retrouver embarqué dans une histoire compliquée. Il n’a pas le temps. Il a fait une exception qu’il regrette déjà. Clara. Sa plus fidèle lectrice, la plus fervente. Sa correspondante préférée, une fan devenue une amie au fil des messages. Il n’a pas su lui dire non.
Sa maison d’édition a déroulé le tapis rouge. Billets d’avion, hôtel quatre étoiles, voiture avec chauffeur… tout pour parvenir à le faire sortir de sa tanière. Jean est leur auteur phare, celui qui réalise le plus de ventes, dans un genre qui plaît tant aux femmes : la romance amoureuse. Un auteur aux multiples talents, écrivant aussi bien des romances historiques, dark, new, gothiques, érotiques, gay… l’un des seuls hommes dans ce monde dominé par des écrivaines. Une verve abondante, une imagination sans limites, un style fluide et agréable ; et tous les ingrédients pour rendre accro la ménagère : de beaux et sombres inconnus, des héroïnes égarées et vulnérables, des situations désespérées, des diamants et des châteaux… Jean joue avec tous les clichés mais n’hésite pas à les bousculer aussi. Auteur reconnu et installé, il met à présent en scène des maîtresses femmes, des voyous repentis… Il ne s’impose qu’une seule contrainte : une fin heureuse. La vie est déjà assez pénible comme ça ! Même s’il chahute les codes de la romance avec ses dominas et ses bad boys, les lectrices ne l’ont pas abandonné pour autant. Au contraire. Et Jean se flatte de contribuer à son niveau à leur émancipation, leur joie de vivre, et même de pimenter leurs ébats grâce à ses scènes érotiques. Son éditrice l’encourage d’ailleurs à aller plus loin encore. Le succès ne lui pas tourné la tête, il reste charmant, sauvage, sans l’égo démesuré de certains.
Ils se sont installés dans un café au fond du salon, à l’écart. A l’abri des regards. Clara reste muette. Les mots qui se bousculaient dans sa bouche se sont envolés. Elle contemple Jean avec adoration et cette vénération embarrasse l’écrivain. Il lui parle de ses projets, de ses prochaines parutions, tente de la mettre à l’aise. Sans succès. Le silence menace de s’installer, il n’a pas l’habitude des mondanités.
Les pensées de Clara s’égarent. Elle a du mal à se concentrer sur ce qu’il lui raconte. La voix de Jean lui parvient de façon assourdie. La jeune femme regarde les mouvements de sa bouche si sensuelle, ses yeux plissés qui brillent d’intelligence… Elle repense à ses écrits torrides. Il doit se montrer un amant merveilleux, il semble si bien connaître le corps des femmes, leurs attentes, leurs fantasmes les plus secrets. Quelque chose attire soudain son attention. Derrière Jean, un long rideau blanc volète, il marque les limites du salon. Ils pourraient se glisser entre ses pans, se retrouver dans les coulisses. Des lieux sûrement déserts, vides, les bruits de la foule seraient atténués… A l’abri des rideaux, ils s’embrasseraient sans fin. Il la soulèverait dans ses bras comme le font ses héros. Contre un mur, il la pénètrerait doucement. Ou bien, il la coucherait sur une table…
Clara ferme les yeux un instant et se retrouve aussitôt de l’autre côté des rideaux. Jean se montre doux, il a l’air timide, hésitant. Peut-être qu’il n’a pas eu d’amante depuis longtemps. Il l’enlace, pose ses lèvres avec délicatesse sur les siennes. Il n’a rien de la fougue et de l’empressement des jeunes bellâtres qui peuplent ses romans. C’est infiniment bon. Il prend Clara par la main et l’entraîne entre les palettes à l’abandon, les tables et les chaises en pagaille. L’envers du décor, tout un univers parallèle loin des lumières et de l’animation trépidante du salon. Ils se faufilent, explorent. Le temps leur est compté. Jean est attendu pour des dédicaces, ses fans trépignent déjà. Il n’y a pas un instant à perdre. Ils se cachent de leur mieux, s’étreignent, avant que Clara ne tombe à genoux devant son idole. Elle toujours si timide prend l’initiative, déboutonne son pantalon, le descend, le caleçon aussi. Clara tombe en arrêt devant le plus beau sexe mâle qu’elle n’ait jamais vu. Jean la relève. Ils n’ont pas le temps, il veut l’aimer tout de suite, la prendre doucement en soulevant sa jambe et l’appuyant sur sa hanche. Il se contente de baisser ses collants et sa culotte. Il lui promet des draps de soie la prochaine fois et s’enfonce en elle en soupirant de plaisir. Il glisse ses mains sous son chemisier, prend ses seins à pleines mains. Clara s’offre et s’abandonne. Qu’il la fouille, la baise, elle est à lui, elle lui appartient, il peut faire ce qu’il veut. Elle veut le combler de plaisir, lui faire perdre la tête au contact de son sexe chaud qui coule de désir pour lui. Qu’il profite de son aura d’auteur aimé, idolâtré, pour la prendre avec vigueur. Elle veut sa force, et sa douceur aussi. Elle sait qu’il y a les deux en lui ; la lenteur, la douceur imprègnent ses histoires, mais certains récits flirtent avec le sadomasochisme tellement à la mode. Clara s’offre et devient sa soumise. Elle voudrait qu’il aille plus loin encore pour lui prouver son amour. Elle invite Jean à accompagner ses coups de reins de claques sonores sur ses fesses, retentissant dans le hangar d’exposition vide.
— Clara, qu’en penses-tu ?
La jeune femme sursaute en entendant son prénom et se ressaisit.
— Pardon, je pensais à autre chose, tu disais ?
Jean sourit. Visiblement cela fait un moment que la jeune femme ne l’écoute plus et rêvasse. Perdue dans ses pensées, son regard est devenu flou, absent. Un léger sourire flotte sur ses lèvres et Jean se demande où ses rêveries l’ont entraînée. Il la regarde plus attentivement et la trouve diablement sexy avec ses seins généreux, sa taille fine, ses longs cheveux et son visage d’écureuil. Il consulte sa montre et lui touche le bras pour la ramener à lui et la réveiller tout à fait.
— J’ai envie de fumer une cigarette, tu m’accompagnes dehors ?
Clara se lève comme une somnambule, les idées en feu. Sans réfléchir, elle prend la main de Jean et il n’a pas le cœur de la retirer. Il apprécie le contact de cette petite main tiède dans la sienne.
Ils s’assoient sur un banc, presque à la sortie du parc des expositions. Le soleil est déjà en train de disparaître derrière les immeubles. Les réverbères, les enseignes, diffusent une lumière pâle. Le tramway passe en faisant tinter sa cloche, les voitures freinent, démarrent. Autant de bruits citadins désagréables aux oreilles campagnardes de Jean, et ignorés totalement à présent. Il se noie dans les yeux de Clara, des yeux qui le contemplent avec une admiration sans limites, au point de lui faire presque peur. Il prend son visage entre ses grandes mains et dépose un baiser sur ses lèvres. Il n’a plus envie de fumer. Il a envie de cette inconnue, de son corps chaud et frémissant contre le sien. Jean oublie tout. Le stand, son éditeur, ses lectrices éplorées qui le guettent et l’attendent, espérant un autographe, un signe…
— Viens, suis-moi…
Il emmène cette jolie proie venue tout droit se jeter dans la gueule du loup dans sa chambre d’hôtel. Il va la garder pour lui seul. Et l’aimer toute la nuit.
Photos : Sam Riley, J.P. Belmondo, Colin Firth, Ewan Mc Gregor (Ghost writer)