Invitation

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Un premier rendez-vous, c’est toujours stressant, même si l’on a fait connaissance en détails en échangeant des kilomètres de messages, alors autant se préparer à fond ^^

***
   Après des semaines de discussions sur un site de rencontre, la tension était à son comble et la pression maximale. Ils s’étaient séduits de leurs esprits acérés, il s’agissait maintenant de se séduire physiquement. Le ventre noué par le trac, ils finirent par convenir d’une date. Il l’invitait, avec le champagne, et tout le tralala.

   Le jour J, elle se réveilla sur des charbons ardents, avec un sentiment d’imposture total. S’il était aisé de passer pour une femme élégante, raffinée et sophistiquée à l’écrit, il en allait tout autrement dans la vraie vie, où les yeux prenaient le pouvoir.
Elle s’affichait le plus souvent au naturel, brandissant l’adage « la beauté est intérieure ». En réalité, elle se montrait paresseuse, peu intéressée par les artifices du maquillage et la perspective de passer des heures devant un miroir.

Elle quitta son travail une heure plus tôt afin d’avoir tout le temps de se préparer. D’abord se prélasser dans un bain moussant, puis s’adoucir la peau de crèmes plus ou moins rances, depuis le temps… Le plus dur restait à faire : se choisir une tenue ni trop stricte, ni trop sexy, ni « veuve noire » ni bariolée… ni pute ni bonne copine quoi ! Tout son vestiaire se retrouva bientôt sur son lit, rien ne convenait. Finalement elle opta pour l’habituelle petite robe noire passe-partout.
Elle extirpa d’un placard une machine poussiéreuse qui voulut bien fonctionner et faire fondre un vieux fond de cire, et souffrit mille morts en s’épilant. Cette torture barbare que les femmes devaient endurer pour les beaux yeux des garçons ! Elle s’usa les yeux à traquer le moindre poil, on ne sait jamais ce qui allait arriver ce soir, elle voulait être prête à tout…
Et puis il fallut se maquiller, c’était obligatoire pour avoir l’air distinguée. Elle dût s’y prendre à plusieurs reprises, elle n’avait pas l’habitude. Entre la débutante du premier bal de la saison et la prostituée de haut vol, il y avait un juste milieu !
Pour parfaire le tableau, elle manqua de s’électrocuter avec un fer à friser hors d’âge, avant de s’occuper de ses ongles. Il fallut limer, poncer, les peindre, sans oublier les ongles des pieds. Ce fut laborieux, ça débordait toujours, elle manqua de s’intoxiquer dans les vapeurs du dissolvant dont elle abusait pour réparer les dégâts au fur et à mesure. Que c’était long de se transformer en fille ! Dix fois elle faillit renoncer, lui écrire, prétexter un rhume… avant de se remettre à l’ouvrage.

Enfin elle fut prête, exaspérée, non pas par le désir, mais par tous ces préparatifs infinis et inutiles infligés à son corps.
Quoi, déjà 23h ! Elle allait être un peu en retard, 3h de retard très exactement. Devait-elle annuler ? Il devait déjà dormir sans doute… Elle secoua ses fausses boucles cramées au fer à friser. Elle n’avait quand même pas fait « tout ça »pour rien ! Au diable le dîner, on ferait l’impasse sur les amuse-bouche pour attaquer directement le vif du sujet !
Elle chaussa ses escarpins, vacillante, maudissant une fois de plus les diktats de la mode féminine, et s’engouffra très énervée dans un taxi. Elle surgit chez lui comme une furie quelques minutes plus tard.
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   Il ouvrit de grands yeux, il ne l’attendait plus, il avait rangé les assiettes et les plats depuis longtemps. Elle ne s’excusa pas, au contraire elle l’accabla de reproches : tout ça c’était de sa faute, et la faute de la phallocratie ambiante qui transformaient les femmes en esclaves du regard des hommes… Toujours véhémente, elle se jeta sur lui pour soulager son énervement en le pinçant fortement.
Il éclata de rire, ravi de dompter une fougueuse tigresse. Elle se mit à rire avec lui et se calma enfin. Elle ronronnait comme une chatte tandis qu’il lui massait la nuque, avant de la mordiller.
Le maquillage fut bientôt ruiné par les baisers, la robe arrachée, les ongles peints complètement ignorés, les boucles chiffonnées… Ils mélangèrent leurs parfums et leurs sueurs jusqu’au bout de la nuit.
L’aube les trouva affamés.
— Il y avait quoi au menu, au fait, demanda-t-elle intéressée.
Même si c’était du cassoulet, elle se jetterait dessus !
— Du saumon fumé et du tarama… J’avais prévu un dîner froid, au cas où tu serais en retard, et puis je ne voulais pas passer du temps en cuisine et te laisser seule
— Très bien, j’accepte à nouveau ton invitation à dîner, j’ai très faim !
Il s’activa aussitôt de peur que la faim ne réveille la tigresse.
Décoiffée, défaite, les joues maculées de mascara – entre autres – elle s’attabla toute nue avec enthousiasme, pendant qu’il disposait les plats avec cérémonie et déférence.
— Ma chère, une petite coupe de champagne pour commencer peut-être ?
Elle tendit une main aristocratique vers la coupe ; au moins les ongles étaient toujours impeccables, les apparences étaient sauves !

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  Photos : James Bond
(la dernière est hors-sujet, mais elle me plaît particulièrement !)

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