Fin d’une relation d’appartenance

On évoque souvent les débuts des relation D/s(*), ce moment où tout se noue, symbolisé éventuellement par la remise du collier, mais plus rarement celui où l’on enlève ce collier, qu’il soit réel ou symbolique. – même si la fin n’a rien d’inéluctable, car il existe sans doute des relations BDSM pour toujours, comme dans le monde vanille.

Les débuts sont toujours étincelants, vifs, enivrants : ils se croisent par hasard, et tout semble magique. Le soumis se remet entre les mains de la dominatrice, qui s’émerveille de ce cadeau tombé du ciel. Elle a autant envie de le posséder qu’il a envie de s’offrir. Elle se sent toute puissante, elle entrevoit des possibilités de jeux à l’infini. Encore incrédule, elle dresse déjà la liste de tout ce qu’elle va lui demander, fantasme sur tout ce qu’elle va lui faire…

Lui se réjouit de ne plus s’appartenir, de ne penser qu’à son plaisir, même s’il doit renoncer au sien, de l’aider de son mieux, de lui consacrer tout son temps, toutes ses pensées.

Un lien déséquilibré consenti joyeusement s’instaure et les rend heureux, les soude, un lien que personne ne peut comprendre — à part d’autres membres de la communauté BDSM. Un lieu plus fort encore que le lien amoureux. L’un se donne, accepte tout, et prêt à tout, et l’autre prend tout et en profite ! En faisant attention quand même à ne pas dépasser les bornes, ni casser « son jouet »… et l’attendrissement n’est jamais loin.

S’ensuivent quelques années sur un nuage, hors de la réalité ; le duo soumis / domina s’épanouit entre séances privées, soirées, messages ponctuant la journée : renouvellement des vœux, compliments, vénération, petits riens du quotidien….

La dominatrice est infiniment touchée du don qui lui est fait, elle souhaite en être « digne », se montrer à la hauteur — et finalement, cela représente du temps, des soucis et du « travail ». Le soumis s’exalte de se donner autant, il est prêt à aller loin pour prouver sa sincérité et son abnégation. Il se repose entièrement sur elle, sans se douter de la fatigue que cela va peu à peu engendrer plus tard, la fameuse « charge mentale » dont parle les medias, une fois l’euphorie des débuts passée.  

Au fil du temps, la dominatrice ressent un poids sur ses épaules, une pression qui l’oppresse : ce qui n’était qu’un jeu et du plaisir devient de plus en plus lourd à porter. Elle est désormais responsable du bonheur de ce soumis qui se dévoue à elle corps et âme. Elle fait la pluie et le beau temps dans sa vie, alors qu’elle n’y est que de passage. Il a perdu tout son libre arbitre, et toute capacité à s’occuper seul.    

La dominatrice sent confusément qu’elle doit libérer son soumis, il doit vivre sa vie, au lieu de se tenir à l’ombre de la sienne, dans l’attente. Et elle-même a d’autres chats à fouetter…

Toutes les relations évoluent, les relations BDSM n’échappent pas à la règle. La leur s’essouffle en restant enfermée sur elle-même. Elle se sent prisonnière de ces doux liens qui se resserrent un peu trop autour d’elle. Elle aspire à retrouver sa liberté : sortir seule, retrouver son insouciance sans être responsable de qui que ce soit, faire des rencontres sans conséquence, jouer avec d’autres…

Elle tente de négocier : il peut venir en soirée, mais ils ne seront plus collés l’un à l’autre comme avant. Une sorte de polyamour du BDSM ! Le soumis secoue la tête, il refuse ses demi-mesures, ça ne l’intéresse pas. Lui, ce qui l’intéresse en soirée, c’est fusionner avec elle, et c’est tout. La dominatrice prend peur, c’est trop… Elle prend acte, et reprend sa liberté, elle sortira seule désormais. Elle dénoue un à un les liens qui le reliaient à lui : fini les messages quotidiens, fini le port des chaînes, de la cage, etc… Tous leurs petits rituels qu’ils chérissaient, et puis s’imposaient sont mis peu à peu en pause (pas tout d’un coup, pour ne pas le heurter).

Dans le cadre d’une relation D/s « officialisée », une cérémonie de remise de collier aurait été organisée peut-être, il aurait dans ce cas fallu qu’il lui rende son collier. Elle l’aurait coupé en deux, ils en auraient chacun gardé une partie en souvenir. Chaque collier est unique, et ne peut être porté par un autre soumis. Mais elle s’est refusée à toute cérémonie, trop lourde et pesante, voulant garder de la légèreté, et le côté éphémère de leur relation – sans vraiment réussir – il a gardé le collier qu’il s’était acheté dans un sex shop, elle l’a seulement remplacé quand il s’est usé.

Elle l’invite à retrouver de l’autonomie de mouvement, à se trouver des distractions, l’encourage à sortir seul. Mais il ne sait plus ce qu’il aime, ni comment s’occuper, il n’a plus de personnalité, il s’est perdu en se consacrant à elle.

Elle respire à nouveau, malgré une ombre au tableau, elle devine que son soumis souffre. Il doit se sevrer d’elle, et après des années sous sa coupe, c’est comme arrêter une drogue dure.

Elle va l’aider, elle tient à lui, en dehors de tout ce qu’ils ont vécu. Ils ont une belle relation à recréer, réinventer, autour de leur complicité et de l’amitié. Et là ce sera une relation pour toujours.

La dominatrice se fait une promesse pour le futur : ne plus jamais s’attacher autant, toujours garder de la légèreté dans ses relations avec ses partenaires de jeux… le BDSM, ce sont ses loisirs, ce n’est pas sa vie. Ce n’était pas raisonnable de se l’attacher autant.

D’ailleurs, elle ne se sent plus dominatrice pure et dure, disposer d’un soumis en appartenance n’est plus un fantasme, il a été assouvi, au-delà de ses rêves. Elle se sent surtout joueuse désormais, switch, soumise à l’occasion, oscillant entre les deux selon ses envies et les rencontres.  

* relation D/s : relation de domination-soumission, à distinguer des jeux purement SM éphémères et insouciants, qui n’impliquent pas forcément de relation D/s)

-Photo : Film Agora, avec une très belle relation maîtresse-esclave

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