Guillaume Dustan

J’ai tellement aimé les livres d’Hervé Guibert : son écriture, son style, sa façon de raconter son désir pour les autres hommes. Sa façon terrible de se regarder lui aussi, de vivre sa maladie, le Sida, que l’on ne savait pas encore soigner hélas. Des livres poignants, forts, qui m’ont mis une claque…. J’ai aimé tous ses livres ! Je pense qu’Hervé Guibert et son écriture manquent cruellement dans la littérature actuelle, il me manque en tout cas, donc j’ai essayé de le retrouver en lisant des livres d’autres auteurs gay de la même époque ou un peu après.

J’ai commencé par Cyril Collard, dont Les nuits fauves avaient fait grand bruit à l’époque, mais je n’ai pas accroché.

Guillaume Dustan s’est ensuite imposé tout de suite dans mes recherches, et wahou, quel, choc, j’ai dévoré tous ses romans autobiographiques ! J’ai lu Dans ma chambre, Je sors ce soir, et Plus fort que moi d’une traite, comme s’il s’agissait d’un seul roman (ils sont très courts), aussi mon retour de lecture les mélange un peu. J’ai aussi lu Nicolas Pages, dans la même veine que ses trois premiers romans, plus sentimental (l’histoire de son coup de foudre pour Nicolas Pages) et Génie divin, très différent, un recueil d’articles, d’entretiens, réflexions… J’ai calé sur LXir – l’auteur est vraiment dingue, ça part dans tous les sens ! J’y reviendrai peut-être…

Guillaume Dustan est un personnage sulfureux, provocateur, il n’a peur de rien ! (j’adore les gens qui n’ont peur de rien). Il n’hésite pas à faire l’apologie des drogues, et des pratiques sexuelles à risques. Enfin, il ne fait pas tant l’apologie des drogues dans ses romans, il parle de ce qu’elles lui apportent, et il parle de ses préférences sexuelles à lui… Mais dans ses articles réunis dans Génie Divin, il défend leur autorisation, et défend l’abandon du préservatif, ce qui lui a valu pas mal d’ennuis, dont une querelle retentissant avec Act-up notamment. Je reviendrai sur ses arguments)
Guillaume Dustan, c’est la fureur de vivre malgré l’épée de Damocles au-dessus de sa tête, ou peut être justement en raison de cela, cette vie écourtée qu’il anticipe, qui lui donne la rage de faire ce qu’il veut, de profiter de la vie et jouir le plus possible ! Les années passant, les médicaments contre le Sida gagnent en efficacité, les trithérapies arrivent, la mort n’est plus l’aboutissement inéluctable de la séropositivité, qui se banalise tant elle est répandue.

Dans son roman Dans ma chambre. Guillaume Dustan décrit de façon fantastique le désir entre hommes, un désir hors-normes, puissant, un ras de marais impérieux, qui fait oublier tous les risques. Sur le moment, ces risques n’ont plus aucune importance, seul l’instant compte, et la satisfaction immédiate. Nous aussi les femmes on peut ressentir énormément de désir, mais je ne suis pas sûre qu’il soit si dévastateur, cette tempête des sens qu’il décrit…

Au début de ma lecture, je n’étais pas conquise comme avec les livres d’Hervé Guibert, j’étais même un peu décontenancée. Clairement, ce n’était pas la du tout la même écriture que son prédécesseur de quelques années, qui était bien plus littéraire. Je ne ressentais pas la même empathie pour le personnage. Hervé Guibert a beaucoup de tendresse pour ses amis, qui le lui rendent bien, et pour ses grands-tantes, dont il parle de façon très touchantes.
Rien de tel avec Guillaume Dustan, il ne cherche pas à être aimé du lecteur, à attirer la sympathie, la compassion ; il livre sa vérité toute crue, sans l’enjoliver de jolis rubans. Je n’ai pas ressenti d’emblée d’empathie pour lui. Il n’est spécialement sympathique, il n’hésite pas à dénigrer, juger, il ne pense qu’à séduire, baiser, et se perd dans cette quête infinie (ça m’a amusée, il recroise souvent « les mêmes » en soirées ^^ je connais).

La magie n’a pas donc pas opéré tout de suite, et puis je me suis laissé prendre, mais vraiment ! Et je me suis attachée à lui comme jamais. Il nous montre ses failles, ses défauts, sans complaisance, nous fait part de ses doutes. Et son style ! Il a une écriture brute, directe, crue, franche, avec des formules qui font mouche… Une écriture coup de poing ! (Je souriais souvent toute seule, je riais, réjouie par ses trouvailles ! J’ai pensé à prendre des photos de citations au bout d’un moment, mais je manque de temps pour les trier ^^ peut-être à la rentrée. )
Il se livre corps et âme, on est dans ses pensées, dans son quotidien, on vit avec lui un présent intense ! On vit ses galères aussi (la logistique aura notre peau). Le portrait d’un homme très attachant s’est dessiné peu à peu, passionné, amoureux, pétri de doutes, diaboliquement intelligent…

On est plongé dans l’ambiance du milieu gay des années 90 : la musique électro fait ses débuts, le sida sévit, et l’envie de vivre intensément est plus forte que tout, l’envie de s’amuser avant tout, alors que les gays peuvent enfin s’afficher au grand jour, avec l’avènement des gay pride partout, etc… L’auteur y évolue comme dans un poisson dans l’eau, dans son élément au sein du marais et de sa communauté, dans laquelle il vit en vase clos « le guetto ».
Toutes ses sorties, dans les boites, dans le Marais, tous ses loisirs sont orientés vers ce but : baiser. Le désir s’impose et surpasse tout, même la crainte de contaminer l’autre. Et à l’époque, on se situe tout juste au début des traitements anti-sida. (quelle différence avec maintenant ! et on a la prep aussi, quelle libération !).
Très vite, l’auteur se passe à l’occasion du préservatif, malgré sa séropositivité. Après tout, ils sont si nombreux à l’être dans son entourage, séropo ! Pourquoi se priver du contact de la peau contre la peau…
Il joue avec le feu, un jeu dangereux, en baisant sans capote, « le baiser de la mort ». Il se trouve des justifications, des excuses, il se rassure comme il le peut : j’ai pas joui à l’intérieur de lui, ça devrait aller, ça va le faire, etc… En général, il s’assure que l’autre est consentant, mais une fois, dans la folie du moment, il s’en passe sans en informer son partenaire – le plaisir est incomparable, et il peut jouir ainsi, avec la capote il n’y arrive pas…

Plus fort que moi fait la part belle aux séances SM, et quelles séances !
Je me pose une question : le SM (qui ne s’appelait pas encore BDSM à l’époque) était-il plus hard dans les années 90 qu’il ne l’est maintenant ? 50 nuances de Grey et tous ses ersatz (je me mets dans le tas ^^) qui ont suivis ne l’ont-ils pas édulcoré, adouci ? La vague Metoo, en mettant l’accent sur le consentement, a enfoncé le clou (et c’est très bien, mais le SM s’en trouve peut-être aseptisé, par rapport à ce que j’ai pu lire dans ce roman, et aussi dans Le lien, qui date de la même époque environ. Bien sûr, le consentement existe aussi dans Le lien et dans Plus fort que moi, mais les pratiques sont bien plus rudes et extrêmes que ce je peux voir et vivre aujourd’hui en soirées – mais je ne sais pas ce qu’il se passe lors de soirées plus intimes, ni dans les chambres, l’espace intime ultime.
Aujourd’hui, on ne dit plus SM, mais bdsm, et de plus en plus ce terme tend à disparaître lui aussi, derrière le joyeux « kink » : le bdsm est devenu une source infinie de jeux, de plaisirs, on ne cherche plus autant l’humiliation extrême (ou je ne sais pas tout ^^ je ne demande qu’à être démentie)

Dans Je sors ce soir, unité de temps et de lieu comme au théâtre, on vit en temps réel une soirée à la Locomotive (actuellement La Machine du moulin rouge, je connais bien ! ça m’a amusée de me repérer au fil des descriptions de l’auteur)
J’ai retrouvé avec plaisir le style de Guillaume Dustan, sa voix particulière, unique en littérature (bien qu’il dise souvent s’inspirer de Marguerite Duras et Bret Easton Ellis) : son parlé franc, direct, sans concession, sans chercher à épargner le lecteur, et son humour aussi. Il vibre d’intelligence, son intelligence est palpable à chaque page, sans qu’il ait besoin de briller avec des mots savants. Il excelle pour nous confier le cours de ses pensées, ses atermoiements, ses états d’âme par le menu, et son quotidien aussi, ses errances parfois. Il est toujours si impatient, il s’ennuie vite. Il a souvent un côté désabusé, à la fois drôle et poignant, car on devine que le risque de déprime n’est pas loin, il est sur le fil.
Dans Je sors ce soir, il retranscrit à merveille le small talk superficiel des soirées : on échange de vagues nouvelles, des potins sur des amis commun, des infos sur les lieux de soirée. Rien n’a changé trente ans après, ça m’a fait trop rire ! Il nous fait vivre ses errances, ses tentatives de drague, son plaisir de danser. Il aime danser, se donner en spectacle, séduire, et se laisser prendre par la transe de la danse, du son… ce plaisir de danser est si bien retranscrit, je dansais avec lui ! Il raconte même ses détours aux toilettes dans un souci de minutie ^^ (était-ce bien nécessaire ? 😉 )

L’histoire pourrait se dérouler aujourd’hui, après tout La loco existe toujours. Ce qui date le récit, ce sont les références musicales, on est tout début de la techno (coucou David Guetta qui mixe au Queen !). J’ai tellement de peine que Guillaume Dustan soit décédé prématurément, sans vivre l’évolution de l’électro, son explosion ! Il aurait tant aimé la techno actuelle, car il se plaint souvent de la musique, trop molle à son goût. Il aurait adoré les Monarch, où la musique est exactement à l’inverse de « molle » ! Et il y a des backrooms sur place, pas besoin de quitter la soirée pour rentrer chez soi…
Et surtout, ce qui date énormément ses récits, c’est la façon de se rencontrer à l’époque : le Minitel !! Ce coup de vieux, rires. (avant le Minitel, je n’ose imaginer : il fallait errer dans des spots connus pour être des lieux de dragues homo. Il les évoque : jardins des tuileries, les quais de Seine… et compulser les petites annonces spécialisées…
Là, il nous fait vivre en direct la préhistoire des rencontres en ligne, avec les factures à 3000 francs par mois (Orange s’est bien gavé ^^). Pour éviter de trop exploser le budget, il fallait aboutir le plus vite possible, aller droit au but sans chichis, ce qui lui convient d’ailleurs très bien, n’ayant aucun goût pour la galanterie. Le langage est codé, abrégé, comme au tout début des sms…
La plupart des rencontres, en dehors du Minitel, se font en boîte (le Palace, le Queen, puis la Loco) , ou des boîtes gays du Marais avec leurs fameuses darkrooms. On se séduit sur un coup d’œil échangé, on indique ses préférences sexuelles en accrochant sa chemise à son pantalon à droite ou à gauche – au milieu c’est autant actif que passif. Tout va très vite, tout passe par le physique, l’allure, le côté fashion, la jeunesse, les muscles, et même les vêtements – les codes vestimentaires de l’époque sont très bien décrits. Ceux qui ne font pas de sport, se relâchent, sont vieux… n’ont aucune chance avec Dustan qui a l’insolence de la jeunesse et la beauté du diable. Parfois néanmoins, il cède aux sirènes d’un homme qui ne lui plaît pas a priori, par flemme, frustration, et aussi excitation de s’offrir à quelqu’un qui ne le séduit pas.

J’ai lu aussi Génie Divin, compilation d’articles, interviews, entretiens, billets sur toutes sortes de sujets, souvent politiques, sociétaux : le genre, l’évolution de la société, l’éducation, les queer… Dustan a ses opinions bien à lui, et il se plaît à imaginer la société de demain, libérée de tout ! Et bien sûr, le sujet polémique de l’époque revient à plusieurs reprises : le bareback, dont il s’est fait le farouche défenseur, sous certaines conditions, souvent oubliées de ses détracteurs.
Le bareback c’est le fait d’avoir des relations sexuelles sans protection, se passer du préservatif qui amoindrit le plaisir et les sensations, mais à certaines conditions expose Dustan :
– Entre séronégatifs
– Entre séropositifs (je ne suis pas médecin, mais il me semble qu’il y a un risque de surinfection ? Mais on ne le savait peut-être pas à l’époque)
– Sa philosophie : on n’a pas à se sentir responsable de la protection des autres, chacun connaît les risques et est responsable de sa propre protection (ça se discute je dirais ^^, même si c’est ce qui se passe à présent, chacun peut décider de prendre la Prep, qui protège contre le virus HIV (mais pas les autres virus). Aujourd’hui, on peut se mettre d’accord avec des partenaires également sous Prep pour se passer de préservatif, cela va de soi (mais les Chlamydia, les Gonorrhées en profitent pour faire leur grand retour, m’a dit un gynécologue un jour ; rien n’est parfait)

Guillaume Dustan incarne le changement des générations, bye bye les babyboomers, welcome la génération X (née après 1964) qui rompt avec les codes et les traditions et envoie les obligations aux orties : plus besoin de se marier, de se ranger, de faire des gosses, de porter un costume… Une génération qui vit en direct l’avènement de la culture techno, des rave party, des nouvelles drogues (l’extasy). Dustan se fait le porte-voix de cette nouvelle génération gay, il joue avec son image, endosse bien volontiers le costume du provocateur, voire du « méchant barebackeur » qu’on lui colle à la peau, lors d’apparitions déjantées et costumées dans les émissions de l’époque.
Lui a d’ailleurs commencé sa vie sagement et dans le droit chemin, il a fait de hautes études, l’ENA, avant d’assumer son homosexualité, son goût de la fête et des substances, et d’envoyer promener son poste de magistrat pour se consacrer à l’écriture et l’édition.

Auteur générationnel, visionnaire, libre, novateur, extrême, pour lecteurs et lectrice aguerries ! Je recommande vivement sa trilogie autobiographique et Nicolas Pages, cette plongée dans les 90, dans ses pensées, dans son intimité.

Je me sens à présent « orpheline », ayant tout lu de lui ou presque, j’aurais aimé rester avec lui encore, pour d’autres confidences ! J’ai calé sur certains passages de Génie Divin, et j’ai à peine ouvert LXir ; je préférais ses livres autobiographiques ! Je vais à présent regarder tout ce que je peux sur Youtube…

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